Espace de libertés – Décembre 2016

Le théâtre citoyen et militant contre le paradoxe européen


Arts
Dans le cadre du Festival des Libertés, le NIMIS Groupe présentait en octobre dernier « Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu ». Plus qu’une pièce de théâtre, c’est un engagement militant et politique. Accompagné de demandeurs d’asile, le collectif de comédiens détaille et expose un véritable travail de recherche documentaire sur les enjeux économiques, politiques et humains liés à l’immigration en Europe.

Le NIMIS groupe, c’est treize comédiens, sept professionnels et six amateurs qui travaillent comme bénévoles car ils ont le statut de demandeurs d’asile. Ce sont des hommes et des femmes présentés comme étant dans « l’illégalité » sur le territoire belge. Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu raconte les histoires de ces hommes et femmes, avec humour et légèreté pour s’aligner sur l’absurdité de cette « illégalité ».

Art et engagement citoyen

Tout a commencé par un échange entre le Conservatoire de Liège et le Théâtre national de Bretagne. Un projet financé généreusement par l’Union européenne. Au même moment, les rafles contre les Roms étaient menées à Paris. L’UE dépensait des sommes d’argent faramineuses pour repousser les étrangers hors de l’Union. Le NIMIS Groupe a donc voulu comprendre ce paradoxe. Les comédiens ont effectué leur enquête auprès du monde associatif, de juristes, de chercheurs universitaires, de travailleurs sociaux, etc. Durant leur recherche, ils se sont rendus au centre ouvert de la Croix-Rouge, à Bierset. Ils ont proposé aux personnes en cours de procédure d’asile de participer à des ateliers de théâtre. Les rencontres, les histoires entendues devaient être sues, vues et entendues par le public. Qui pouvait mieux raconter le parcours des demandeurs d’asile que ces derniers?

Du travail documentaire et de la rencontre humaine sont nées l’indignation puis la création artistique. Mais ce projet théâtral dépasse la prestation artistique et se veut engagé. En donnant la parole à celles et ceux qui ne sont pas autorisés à l’avoir, la rupture avec le politique est marquée au fer rouge.

L’absurde décrit le ridicule

"Si la police arrive, prétendez assister à une scène de Shakespeare. Puis applaudissez et riez de manière totalement exagérée. Faisons un test."« Si vous ne souhaitez pas être complice d’hommes et de femmes dans l’illégalité, vous avez 40 secondes pour quitter la salle. » Quelques recommandations plus tard sur l’écran, un autre message apparaît: « Si la police arrive, prétendez assister à une scène de Shakespeare. Puis applaudissez et riez de manière totalement exagérée. Faisons un test. » Le ton est donné. Le public est embarqué dans l’illégalité et prêt à s’en moquer par son absurdité. Les scènes s’enchaînent dans ce qui semble être une caricature. Détrompez-vous! L’absurde est réalité et fait rire. « Quand on expliquait aux gens du collectif comment cela se passait pour nous lors des interviews, ils étaient choqués d’apprendre comment les fonctionnaires nous traitaient. Mais, nous, ça nous faisait rire. La situation était parfois tellement ridicule qu’on ne pouvait s’empêcher d’en rire », explique Tiguidanké Diallo, une comédienne guinéenne qui a rejoint le NIMIS Groupe.

Ici, tous les comédiens s’appellent Bernard Christophe. Un migrant, un réfugié, un citoyen européen, un fonctionnaire, tous sont pris dans la spirale des enjeux liés à l’immigration. Tout le monde est tout le monde. Mais les migrants et les réfugiés ne sont personne, aux yeux des institutions et de ceux à qui cela rapporte. Dans les médias aussi, Bernard Christophe est un chiffre.

Sur l’écran de la scène, des milliards d’euros défilent. Des montants alloués au marché de l’immigration. Un véritable business entretenu par l’Europe avec son lot de morts. Chacun sur son siège s’affaisse, s’indigne intérieurement. « Nous espérons que la pièce ait le plus de répercussions possible. Notre objectif est d’informer le public sur ce qui se passe réellement dans les coulisses de l’immigration et de ses institutions et casser les idées reçues », explique Tiguidanké.

Tiguidanké Diallo souhaite continuer l’aventure du NIMIS Groupe pour s’exprimer au nom des demandeurs d’asile des centres fermés et ouverts. Ce 7 décembre, le NIMIS groupe jouera au théâtre Marni devant les parlementaires européens de tous les partis. Une rencontre que les comédiens attendent avec impatience. « Je me suis engagée dans une lutte. Si ces personnes ont une âme, j’arriverai à la toucher. Et si par bonheur, j’arrive à rester en Belgique, je continuerai à pratiquer cet art engagé. »