Espace de libertés – Décembre 2016

Suède: le pays où les prisons se vident


International
Les prisons suédoises se vident depuis le milieu des années 2000. Le pays compte moins de 4.000 détenus pour 9,5 millions d’habitants. Soit moins de 50 détenus pour 100.000 habitants et l’un des taux de détention les plus bas d’Europe. Une réalité à mille lieues de la politique pénitentiaire belge.

Le déclin de l’incarcération ne s’explique pas par une baisse de la délinquance ou de la criminalité dans le pays, mais par l’évolution des réponses carcérales. Deux raisons à cela, le succès des peines alternatives et un faible taux de récidive dû à la prise en charge originale des détenus: thérapie et « sas » de fin de peine. Avec un mot d’ordre de la part de l’administration suédoise: la détention nuit plus souvent qu’elle n’aide. Notamment dans le cas des courtes peines ou pour les premières condamnations, qui mènent très rarement à l’incarcération. De manière générale, les condamnations excèdent rarement dix ans.

Un mot d’ordre de la part de l’administration suédoise: la détention nuit plus souvent qu’elle n’aide.

Quant aux magistrats, ils ont à leur disposition un arsenal de sanctions alternatives: sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, injonction de soins… Dès 1994, la Suède a été le premier pays à tester les bracelets électroniques. Résultat: si 4.000 condamnés sont sous écrous, 12.000 purgent leur peine dehors. Pour les deux groupes, l’objectif est le même, martèle le directeur de l’administration pénitentiaire, Nils Oberg: éviter la récidive. « Presque 100% des détenus vont retourner un jour dans la société. Il faut les préparer, les équiper, pour éviter qu’ils se retrouvent de nouveau derrière les barreaux. Notre tâche est de faire en sorte que toute condamnation, à l’enfermement ou non, apporte quelque chose. » (1)

Dans la dignité

La peine doit donc être purgée dans la dignité. Les prisons suédoises sont, en général, des petites unités. Seulement douze d’entre elles ont une capacité de plus de 100 détenus. La plupart accueillent en moyenne 65 détenus, ce qui rend plus facile la gestion des prisonniers et permet aux surveillants d’exercer plus facilement une bonne influence sur eux grâce à cette proximité.

Dans toutes les prisons suédoises, chaque détenu a le droit de participer à six à huit heures d’activités encadrées par jour, suivant un programme personnalisé. Une manière d’insister sur la ré insertion sociale plutôt que sur la sanction. La palette est large: travail, formation professionnelle, enseignement général secondaire et universitaire, méditation, yoga et autres activités physiques encadrées. Pour le travail, les détenus se répartissent entre activités de production et service général: menuiserie pour la production de tables de pique-nique, travaux de maintenance et d’entretien des locaux et des espaces verts extérieurs, service de propreté ou de restauration collective. Rien de révolutionnaire donc, si ce n’est qu’il y en a pour tout le monde – 100 % des détenus occupant un poste de travail – et que les détenus ont le choix du poste qu’ils souhaitent occuper. Ils perçoivent une – maigre – compensation financière de 13 couronnes, soit 1,40 euro pour chaque heure travaillée. Cette compensation financière n’est pas réservée qu’au travail: les détenus la perçoivent aussi pour toute heure passée dans les activités définies dans le plan d’action construit à leur arrivée. Outre le travail, la formation professionnelle ou l’enseignement, les plannings des détenus suédois intègrent un autre type d’activité phare: les programmes d’intervention spécialisés, visant à prévenir le risque de récidive.

Les détenus ont l’obligation de respecter leur planning et d’effectuer leurs six heures d’activités quotidiennes. S’ils ne s’y conforment pas, ils risquent un rapport de mauvaise conduite, qui, cumulé à d’autres, peut à terme compromettre leur libération conditionnelle. Dans ce système bien huilé, les surveillants jouent un rôle clé. Ces derniers procèdent à la conception des plannings d’activités. Chaque usager se voit par ailleurs attribuer un surveillant référent chargé de l’accompagner au quotidien. Évidemment, la sécurité reste l’une de leurs missions principales. Mais elle s’inscrit dans une approche dynamique de la sécurité qui entend prévenir les incidents par le dialogue, la médiation et la connaissance des détenus plutôt que par la discipline et le rapport de force.

Sas de sortie

En Suède, on insiste donc sur la réhabilitation. Le terme suédois pour désigner l’administration pénitentiaire, Kriminalvarden, en est le meilleur symbole puisqu’il combine l’univers carcéral et celui des soins. Une conception datant déjà des années 1930: à l’époque, le ministre de la Justice Karl Schlyter souhaite « dépeupler les prisons », ce qui conduira à la mise en place d’un programme en faveur des jeunes délinquants pour qu’ils ne soient plus emprisonné s mais éduqués. L’homme politique avait également promu l’idée selon laquelle les personnes souffrant de maladies mentales et les alcooliques n’avaient pas non plus leur place dans les prisons. Il préconisait pour eux une suspension de la peine associée à un traitement médical et un suivi de la personne. Les détenus devaient aussi être préparé s pour la sortie. Cette philosophie se retrouve plus récemment dans ces « sas de sortie » qui permettent l’accompagnement progressif des prisonniers vers la liberté. Les halvvagshus (maisons de mi-parcours) en sont un exemple. Leurs résidents ont souvent purgé de longues peines. Toujours dans le même esprit, la Suède a généralisé la libération conditionnelle aux deux tiers de la peine. L’idée n’est pas seulement de surveiller les exdétenus, mais aussi de leur fournir un programme de traitement, en cas de dépendance à l’alcool, à la drogue, ou de problèmes de violence. Chaque conseiller d’insertion et de probation suit autour de 30 à 35 cas. Par ailleurs, ces agents publics sont épaulés par plus de 4.000 « superviseurs » bénévoles, quand l’administration estime qu’un soutien supplémentaire est nécessaire.

Pourtant, le système n’est pas épargné par les critiques. Ces dernières années, des voix s’élèvent en faveur d’un durcissement de certaines sanctions pénales avec les risques et dégâts que l’on connaît si bien dans les prisons belges…

 


(1) Cisca Joldersma (éd.), Prisons of the future, rapport final mis en ligne sur www.europris.org, juin 2016, pp. 85-102.