Espace de libertés – Décembre 2016

La laïcité n’a pas de prix… mais elle en attribue!


International
Les ors de la république siéent-ils à la laïcité? Oui, selon le Comité Laïcité République, organisateur du prix de la Laïcité. Cette récompense annuelle couronne des actions emblématiques en faveur de ce principe d’organisation sociétale. Cette année, les invités se sont vus dirigés vers la grande salle protocolaire de la mairie de Paris, en cette place de Grève qui accueillit jadis la guillotine et les badauds excités par le sanglant spectacle des têtes tranchées.

Autres temps, autres mœurs. Aujourd’hui, plus de charrettes de condamnés mais, plan Vigipirate oblige, moult gendarmes prêts à dégainer à la première alerte. Toutefois, le grand rassemblement laïque annuel est plutôt bon enfant. Dans la salle, les têtes connues dans le microcosme se congratulent, tandis que les obscurs, les sans-grade, errent ébahis devant l’étalage de luxe de ce volume digne d’une cathédrale. À l’avant, les grosses légumes: Manuel Valls, Premier ministre, Anne Hidalgo, maire de Paris, Joseph Macé-Scaron, président du jury, Caroline Fourest, qu’on ne présente plus, Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République et une large brochette d’élus essentiellement de gauche et d’intellectuels parisiens apparemment contents d’être là. Quant au bon peuple, il décore les rangées arrière et attend que les vedettes veuillent bien commencer la séance une fois accomplis les salamalecs d’usage.

Pas une espèce menacée

Le prix national de la Laïcité 2016 est attribué à Malek Boutih, député socialiste, ancien président de SOS Racisme, pour récompenser son travail inlassable contre le racisme et pour le décloisonnement des « quartiers » communautarisés. Adversaire des fausses solutions, pourfendeur de la discrimination positive, il affirme qu’ « en France, les minorités, ça n’existe pas. Nous ne sommes pas une espèce menacée. Et si l’on se met à parler l’arabe ou le mandingue, le breton ou le corse, on fera exploser la communauté nationale. La France, c’est la baguette, le vin, le fromage et, maintenant, le couscous, plus “liberté, égalité, fraternité”. Il y a deux cents ans, nous avons pris une longueur d’avance en fabriquant une identité nationale politique et non ethnique ». Boutih a dédié son prix notamment à « toutes les femmes qui vivent dans le monde musulman et dans le monde arabe ».

Maryam Namazie , femme politique iranienne féministe et communiste, porte-parole de Iran Solidarity et de One Law for All, lauréate du Prix international de la laïcité 2016.Le prix international récompense Maryam Namazie, femme politique iranienne féministe et communiste, porte-parole de Iran Solidarity et One Law for All. Elle a fait partie du collectif signataire du manifeste Ensemble contre le nouveau totalitarisme, aux côtés de Taslima Nasreen, Ayaan Hirsi Ali, Caroline Fourest, Chahla Chafiq, Bernard-Henry Lévy et Salman Rushdie (entre autres). Cofondatrice du Conseil central des ex-musulmans, elle lutte contre la légitimation des tribunaux islamiques appliquant la charia en Grande-Bretagne. Selon le jury, elle incarne la laïcité dans sa dimension internationale, universaliste, et prouve dans son parcours que ces notions sont la condition nécessaire à l’émancipation des femmes. La lauréate a tenu à rappeler que « la bataille historique dans laquelle nous sommes engagés aujourd’hui n’est pas un clash des civilisations comme le prétend l’infâme extrême droite pour mieux promouvoir des politiques identitaires intrinsèquement blanches et souvent chrétiennes. C’est plutôt un clash entre théocrates d’un côté et laïques et universalistes de l’autre – par-delà les communautés réelles ou imaginaires, les frontières et autres limites – et parmi ces derniers, beaucoup de musulmans et de migrants. La laïcité n’est ni française, ni occidentale, ni orientale; elle est universelle. »

La religion contre la science?

Enfin, le prix Science et Laïcité revient au professeur Étienne-Émile Baulieu, dont les travaux portent essentiellement sur la grossesse et le vieillissement. Pour le lauréat, le prix récompense son statut autoproclamé de « médecin qui fait de la science », ce qui rapproche sa démarche humaniste de la laïcité. Cet éminent scientifi que bardé de références (1) est l’inventeur de la pilule abortive RU486, qui facilite également des accouchements difficiles et favorise le traitement de plusieurs types de tumeurs. À cet égard, lors de son allocution, Étienne-Émile Baulieu a notamment rappelé que « l’invention du RU 486 qui mettait par une simple pilule à la disposition des femmes et d’elles seules, la décision de poursuivre ou non une grossesse a heurté les religions pour qui le projet de vie d’un futur enfant doit d’emblée être sacré. La vision scientifique du début de la vie est celle d’un continuum dont la fécondation n’est qu’une étape. La religion contre la science? Dans ce domaine comme dans d’autres, la science n’impose pas, elle permet. Elle ne dit pas ce qui est bien, seulement ce qui est possible. Mais, et c’est sans doute à mes yeux la première et la principale caractéristique de la laïcité, c’est de laisser à chacun son libre arbitre. Chaque religion veut imposer sa vérité à tout l’ordre social. La laïcité c’est d’abord une confiance en l’homme, l’homme ou la femme bien sûr. »

Résistons!

Même si on dit qu’en France, tout finit par des chansons, c’est par un discours que le Premier ministre Manuel Valls en personne a tenu à clôturer la séance. Une habitude, puisqu’il le fait chaque année, comme un devoir d’honneur consacré à cette valeur à laquelle il identifie la nation française: la laïcité. Et de quelle façon!

« En remettant tous les ans avec opiniâtreté et régularité ce prix à des personnalités de la vie politique, scientifique, culturelle, vous contribuez à montrer que la laïcité, ce sont des visages. Ce sont des vies. Ce sont des engagements au service des autres. Alors, résistons! Résistons aux simplifications et aux caricatures. Résistons au flot des passions qui envahit le débat public, et choisissons toujours la modération et la raison. Résistons à tous ceux qui voudraient opposer les religions, ou opposer les défenseurs de la laïcité aux croyants. La France (2) a besoin d’apaisement, elle a besoin de se retrouver, et plus que jamais, elle a besoin d’hommes et de femmes tels que vous pour la guider. » On ne saurait mieux dire!

 


(1) En vrac: directeur d’unité de recherche à l’INSERM et professeur de biochimie à l’Université de Paris XI. Il est professeur honoraire au Collège de France et a notamment été le président de l’Académie des sciences.

(2) Et l’Europe tout entière, NDLR.