Espace de libertés – Décembre 2016

Le féminisme en bulles et en slogans


Arts
Quand on associe le savoir d’une spécialiste de l’analyse du discours lié au genre et au féminisme au talent créatif d’un dessinateur qui s’est fait connaître dans les milieux féministes avec un blog et une BD sur le harcèlement de rue et le sexisme ordinaire, cela donne une bande dessinée didactique et décalée.

En mars 2015, nous consacrions un article (1) aux Crocodiles du dessinateur formé à Saint-Luc Thomas Mathieu. Avec ces incarnations reptiliennes de nombreuses idées reçues à caractère misogyne, du sexisme, des clichés sur le rôle de l’homme et de sa virilité, la BD fit pas mal parler d’elle à sa sortie et se mua même en une expo itinérante. Pour compléter ses témoignages illustrés, Thomas Mathieu donna la parole, dans sa postface, à quatre militantes parmi lesquelles Anne-Charlotte Husson, doctorante en sciences du langage et enseignante à l’Université Paris 13 et animatrice du blog « Genre! ». C’est donc sur le terrain du blog féministe que leur chemin se sont croisés. Et tous les deux reviennent aujourd’hui avec un nouveau projet très abouti, cette fois-ci encore dans l’univers du dessin, des planches et des phylactères.

Vulgariser le.s féminisme.s

Partant que constant que « malgré des avancées significatives durant le XXe siècle, le combat féministe reste toujours d’actualité », le duo a décidé de s’attaquer à la vulgarisation du féminisme, ou plutôt des féminismes. Car les choses se compliquent dès la tentative de définition. « Je m’étais rendu compte qu’il n’existait pas vraiment de livre simple et accessible à tou.te.s sur le féminisme qui puisse être utilisé comme outil pédagogique », écrit Anne-Charlotte Husson sur son blog. Elle ne cache pas que ce fut un défi, notamment de par le format court imposé par la collection « La petite bédéthèque des savoirs », sorte de « Que sais-je » en BD, et par le public large (à partir de 14 ans) auquel elle s’adresse.

Thomas Mathieu et Anne-Charlotte Husson en personnages de BD.Le défi a été relevé haut la main par le duo, qui a choisi de traiter le sujet par à travers sept slogans et citations triés sur le volet. « Un choix qui ne fut pas simple, tant les problématiques liées au féminisme sont nombreuses », explique dans la préface David Vandermeulen, scénariste auteur et grand spécialiste de la vulgarisation littéraire. Ont ainsi retenus les des citations et slogans suivants: « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune » d’Olympe de Gouges, « Le privé est politique », « On ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir, « White woman listen! », « Nos désirs font désordre », « Le féminisme n’a jamais tué personne, la machisme tue tous les jours » de Benoîte Groult et « Ne me libère pas, je m’en charge » interprété par de jeunes féministes d’aujourd’hui.

Quand l’histoire devient BD-friendly

Ces phrases sorties des écrits de grandes figures du féminisme et ces slogans souvent repris en calicots dans les marches de femmes et autre manifestations féministes sont autant d’entrée par les différentes portes du féminisme. « Pour exploiter réellement le potentiel de la bande dessinée, il était nécessaire de ne pas écrire des textes trop denses ni trop long », a constaté l’auteure. C’est là que le talent du dessinateur-coloriste est intervenu: avec un mélange équilibré de texte et d’illustrations, la bande dessinée retrace en effet les étapes les plus marquantes du mouvement féministe et s’attarde sur les concepts incontournables que sont le genre, le constructivisme, l’intersectionnalité ou encore le male gaze (ce fameux regard masculin par défaut).

Par ces mots entrés dans l’histoire et la mémoire collective, ce voyage du passé au présent couvre pas mal d’époques, de notions et d’idées, met un grand nombre de féministes à l’honneur et est ponctué de réfl exions contemporaines d’une Anne-Charlotte Husson assise derrière son bureau et d’interventions teintées d’humour noir d’une Olympe de Gouges dont il ne reste… que la tête. Et fait de cette BD un nouvel ouvrage de référence grand public sur le féminisme.

 


(1) Amélie Dogot, « Haro sur les crocos! », dans Espace de Libertés, n°437, mars 2015, pp. 76-77.