Espace de libertés – Mars 2018

Xavier Giannoli, brillant réalisateur de « Marguerite », « Quand j’étais chanteur », ou « À l’origine », se tourne vers le sacré avec « L’Apparition ». Un film qui ravive les liens, déjà complexes et tendus, entre septième art et religion.


« Chrétien tumultueux au sens propre comme au figuré », selon ses propres termes, Xavier Giannoli n’hésite pas à faire l’analogie entre cinéma et objet de culte. « Comme si le septième art était une religion. Quelque chose de supérieur, d’immanent et d’insaisissable. Vu comme ça, il était donc logique que ce pan de l’existence débarque dans mon cinéma. » C’est donc chose faite dans L’Apparition, récit à tiroirs posant parfois plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Et c’est en cela que le film s’avère intéressant.

Jacques (excellent Vincent Lindon), grand reporter pour un quotidien reçoit un mystérieux coup de téléphone en provenance du Vatican. Dans une petite ville du sud-est de la France, une jeune fille de 18 ans a affirmé avoir eu une apparition de la Vierge Marie. Le journaliste, sceptique devant l’éternel, accepte de faire partie d’une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur ces événements. Au risque de voir ses certitudes peut-être un peu s’effriter, et au péril de certaines de ses conceptions sans doute trop cartésiennes.

Le doute, un moteur… action!

« J’avais depuis longtemps le désir de savoir où j’en étais par rapport à la question religieuse… », reprend Giannoli. « Un jour, j’ai lu un article au sujet de ces mystérieuses “enquêtes canoniques”, c’est-à-dire des commissions d’enquête sur des faits supposés surnaturels, comme des guérisons miraculeuses ou des apparitions. Ce point de vue d’une enquête sans complaisance sur des preuves supposées de l’existence de Dieu correspondait à ce que je ressentais alors dans ma vie, au doute essentiel qui était devenu le mien. Ce doute est devenu une force de vie et de cinéma. Parce que, même si j’ai bénéficié d’une éducation catholique, je suis devenu plus sceptique que croyant. En même temps, il n’empêche que même les laïques [sic] s’interrogent, ou du moins devraient s’interroger, au sujet des apparitions et autres croyances. »

Xavier Giannoli a donc eu besoin de se réapproprier ces questions sur la foi. Loin des clichés de représentations médiatiques, des débats sur le choc des civilisations, du retour du religieux via le dévoiement intégriste, ou encore de l’Église et de ses scandales. « Chacun y répond comme il veut, comme il peut, ou en restant, comme moi, dans un trouble. On ne répondra pas au sens de nos vies avec des algorithmes, des smartphones, des promesses économiques ou des illusions politiques. J’ai voulu que le voyage de mon personnage se termine dans le désert, un désert des origines, dans le dénuement et la modestie. Il a voulu percer un mystère et finalement semble s’y refuser, peut-être parce qu’il a découvert la beauté de ce questionnement. »

Un besoin d’illusion

« Il existe une vérité humaine, simple », continue-t-il. « On a tous besoin d’illusion pour vivre. Et, dans l’histoire de L’Apparition, quelque chose du monde d’aujourd’hui résonne aussi très fort : le mensonge, l’hypocrisie, l’illusion qu’on organise, ou dont on est victime, parce qu’elle nous sécurise. Pour le reste, ce film m’a surtout fait prendre conscience de l’immensité de mon désarroi et de mon ignorance face à la religion. »

Un désarroi qui irrigue le genre et ne manque jamais de susciter la controverse. Il confirme : « Quand on se retourne un peu, on constate qu’absolument tous les films traitant de la religion, du Nom de la Rose à Des hommes et des dieux, en passant par Mission ou Paradis: Foi, ont initié une polémique quelconque. Et même si L’Apparition ne prend aucun parti clair et net, je sais que je n’échapperai pas à la colère de quelques-uns ! »

Difficile, donc, de trouver sujet plus casse-gueule. Pourtant le cinéaste livre une œuvre captivante et éloignée des clichés. Bref, un long-métrage qui dissèque certitudes et incertitudes avec une jubilation de chaque instant. Et c’est bien là la mission première du cinéma.