Espace de libertés – Mars 2018

Religion à l’école: stop ou encore?


École

Faut-il supprimer les cours de religion? La question revient ces temps-ci dans le débat public. Avant d’y répondre, il convient d’en interroger les enjeux.


Partons d’un point réel: la situation actuelle du cours de philosophie et citoyenneté (CPC) dans l’enseignement officiel est intenable – d’un point de vue pragmatique, pédagogique et didactique. Avec une seule heure par classe par semaine, pour faire l’horaire complet d’un.e enseignant.e, il faut en effet empiler nombre de classes différentes au point que certain.e.s se retrouvent avec près de… 500 élèves. Impossible de mémoriser les noms et prénoms de chacun, difficulté de prêter attention et soin à chaque classe et donc de créer un lien de confiance indispensable à la réussite des apprentissages, avec une charge de travail énorme en termes de correction et d’évaluation, etc. Impossible également de mettre en place les dispositifs d’apprentissage prévus par le programme. Impossible enfin de développer des méthodes actives, quand vous ne pouvez compter que sur une quarantaine de minutes par semaine. D’où la demande, plus que légitime, de passer à deux heures obligatoires de CPC.

Et puisque la première heure de CPC a été créée en lieu et place d’une heure de cours convictionnel, où prendre cette deuxième heure, sinon de ce côté? Cette manière de poser l’alternative est ruineuse: c’est comme si le CPC avait par nature vocation à remplacer les cours convictionnels, et comme si ces enseignements de nature différente se situaient grosso modo sur le même terrain. Mais le CPC est une chose et la question de l’enseignement des convictions en est une autre: il est temps que l’on considère qu’il n’y a ni plus ni moins de rapport entre un cours de philosophie sur des questions de citoyenneté et des cours convictionnels, qu’entre un cours de mathématiques ou de français et ces mêmes cours convictionnels.

Sens et valeurs en question

Resterait la question du sens et des valeurs – et les plus jeunes d’entre nous en manqueraient. À cet égard, on ne peut qu’être d’accord avec les plus ardents défenseurs des cours convictionnels: la philosophie n’a pas pour objet ni pour rôle de donner du sens et des valeurs à l’existence de celles et ceux qui la pratiquent. C’est même souvent l’inverse: elle questionne, problématise, met à distance, libère un espace où réfléchir le sens et les valeurs auxquels nous adhérons spontanément, pour laisser à chacun la responsabilité et la liberté de les choisir en connaissance de cause.

Mais plus profondément, qui peut sérieusement croire que la question du sens et des valeurs puisse être réglée par le contenu d’un enseignement – en l’occurrence, une religion ou la morale non confessionnelle? Tout le monde sait la méfiance que les enfants et les adolescents entretiennent à l’égard du prêchi-prêcha, fut-il repeint en discours non prosélyte de tolérance et d’ouverture détaché des rites et croyances d’une religion particulière.

Surtout, il convient de ne pas se tromper de diagnostic: ce que certains prennent pour une absence de sens et de valeurs parmi la jeunesse de nos sociétés est en réalité une absence de perspective d’avenir et de prise active sur sa propre existence, qui travaille la société actuelle tout entière. Nous vivons aujourd’hui dans une période non pas marquée par le non-sens et l’amoralité d’individus égoïstes, repliés sur eux-mêmes ou leur communauté, mais par la dépossession généralisée qui affecte les différentes sphères de l’existence – sentiment d’étrangeté et d’impuissance à l’égard des différentes sphères du pouvoir (politique, judiciaire, médiatique), durcissement des conditions d’exploitation dans la sphère du travail, etc.

Proposer un horizon

Que l’école ne soit branchée sur aucun avenir désirable, qu’elle soit déjà, en acte, la préparation d’une attitude de soumission absurde à l’égard de normes et de hiérarchies sans raison d’être, me semble être un problème plus important que la supposée perte de valeurs des plus jeunes. C’est à transformer en profondeur la forme scolaire et nos formations sociales en une perspective d’émancipation individuelle et collective que nous devons nous employer, plutôt qu’à fantasmer sur une réinjection de moralité chez ces petits êtres vierges et plastiques qui auraient besoin de cadre et de repères.

On a raison de demander que soient enseignés le fait religieux, l’histoire des religions et des laïcités. Mais cela ne peut être pleinement satisfaisant que par un véritable enseignement délié de toute autorité cultuelle. Reste l’essentiel: l’horizon d’existence actuelle et à venir que nous nous réservons, à nous, aux autres, à nos enfants, à eux des autres. Il est temps que l’on s’en ressaisisse.