Espace de libertés – Mars 2017

La Wallonie est-elle insoluble dans l’extrême droite?


Dossier
S’agit-il d’une anomalie sociologique? D’une exception politique? Un contresens historique? La Wallonie présente bien des analogies avec les régions françaises voisines qui se sont précipitées dans les bras du Front national. Pourtant, elle n’a jusqu’ici pas suivi la même dérive. Touchons du bois et tentons de comprendre…

La question est particulièrement complexe et on nous pardonnera de ne pouvoir ici que l’effleurer. Mais le constat a de quoi laisser perplexe. Malgré une réalité sociale problématique, malgré un redressement économique toujours annoncé mais jamais advenu, malgré des indicateurs sociaux (précarité, chômage, pauvreté, stagnation économique…) bloqués dans la zone rouge, malgré les lenteurs des politiques publiques de relance et la faiblesse chronique des investissements, malgré les scandales qui ternissent régulièrement la réputation de son personnel politique, la Wallonie semble jusqu’à présent échapper à la tentation de l’extrême droite qui, ailleurs en Europe, a plutôt le vent en poupe. Réalité étonnante ou simple vue de l’esprit qui ne résiste pas à l’analyse?

Ces microformations tentent désespérément d’occuper le créneau très étroit du «national-régionalisme» d’extrême droite et arrivent parfois à drainer quelques votes de protestation.

Léon Degrelle et le mouvement Rex

Tout d’abord, il faut pointer le fait que la Wallonie n’a pas toujours échappé à la tentation de l’extrême droite. Elle y a même plongé à pieds joints dans les années trente, lorsque le Bouillonnais Léon Degrelle fonde le parti Rex. D’abord catholiques puis franchement fascistes, les rexistes s’embourberont ensuite dans la collaboration avec les nazis. À un certain moment (1936), Rex s’offrira en Wallonie des scores électoraux à faire pâlir de désespoir les démocrates impuissants: 29 % en province de Luxembourg, 20,35 % à Namur, 19,36 % à Liège et près de 9 % dans le Hainaut1. Avec ses nombreuses variantes, Mussolini en Italie, Franco en Espagne, Salazar au Portugal, Antonescu en Roumanie, le militarisme au Japon, le régime autoritaire de Horthy en Hongrie, etc., la marée fasciste semble alors tout submerger sur son passage. Les démocraties parlementaires ne savent plus à quels saints de vouer et, à l’intérieur même des partis démocratiques d’Europe occidentale, nombreux sont ceux qui pensent qu’il serait peut-être bon de faire quelques concessions à l’esprit du temps. En Belgique, des hommes politiques de premier plan, de gauche comme de droite, se laisseront bercer par le fantasme d’un État fort, où le pouvoir exécutif serait concentré dans les mains du Roi et de ses ministres, et le Parlement non plus élu au suffrage (pas encore vraiment) universel mais composé de représentants des «corporations»…

La Seconde Guerre mondiale mettra un terme à tout cela. Mais ces idées ne disparaîtront pas pour autant et elles continueront à cheminer dans l’esprit d’un certain nombre de personnes qui n’auront de cesse de les remettre au goût du jour. Ou d’y revenir par la bande comme le fera en France le parti Union et fraternité française (UFF) de Pierre Poujade, dont un certain Jean-Marie Le Pen sera l’un des élus en 1956.

En Wallonie, l’après-guerre se signale par un double mouvement: d’une part, le déclin économique affecte déjà les vieux bassins industriels mais pendant une vingtaine d’années, la reconstruction va masquer cette tendance lourde. On rouvre des puits de mine fermés dans les années trente, les aciéries et les verreries marchent à plein et l’on va chercher sous d’autres cieux la main-d’œuvre qui manque sur place. C’est le début des vagues d’immigration officielles et un modèle wallon multiculturel et multiethnique se met alors en place. Non sans certaines difficultés que le plein emploi du moment réussit à maintenir à un niveau supportable.

Le socialisme, rempart contre tentations extrémistes

D’autre part, au plan politique, l’hégémonie de la gauche (massivement socialiste après la lente décrépitude du Parti communiste jusqu’à sa disparition dans les années quatre-vingt) agit comme un couvercle de casserole. Il offre à la fois protection et espérance mais sa lourdeur et son conservatisme constituent autant de freins sociaux, économiques et politiques. Le fait que la gauche socialiste a pu compter sur un électorat indéfectible et presque captif dans les bastions industriels du Hainaut et de Liège, notamment, lui a en effet permis très longtemps de faire l’économie de toute véritable remise en question. Mais une grosse partie de l’électorat populaire pouvait également se retrouver, jusqu’à un certain point, dans le discours «de combat», progressiste, multiculturaliste et laïque du PSB2 et, de ce fait, le garder à l’abri de certaines tentations extrémistes. C’est le cas, par exemple, de la proposition de loi d’Ernest Glinne du 1er septembre 1966 qui tendait à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie et qui sera finalement votée à la Chambre quinze ans plus tard3 ou encore la détermination à vouloir appliquer la directive sur le droit de vote aux étrangers issue du traité de Maastricht.

Le flop du FN belge

Les diverses tentatives d’implanter une droite extrémiste néo-fasciste en Wallonie ont jusqu’ici toutes échoué. L’une des alertes les plus sérieuses fut le fait du Front national (belge) qui fera une percée aux élections européennes et communales de 1994 et aux fédérales et régionales de 1995, notamment dans la région du Centre mais également ailleurs en Hainaut. Heureusement, ce ne fut qu’un bref feu de paille: miné par des dissensions internes et des malversations en tout genre, le FN disparaîtra corps et biens. Depuis lors, d’autres essais voient régulièrement le jour, souvent lancés par toujours à peu près les mêmes personnes: WL, FNB, «Wallonie d’abord!», etc., ces microformations tentent désespérément d’occuper le créneau très étroit du «national-régionalisme» d’extrême droite et arrivent parfois à drainer quelques votes de protestation.

Mais la volatilité grandissante de l’électorat, l’instabilité générale et l’ambiance délétère que nous connaissons aujourd’hui jettent une sérieuse hypothèque sur le futur. Alors, jusques à quand durera cette apparente imperméabilité wallonne à l’extrême droite? Bien malin qui pourrait le dire…

 


(1) Francis Balace e.a., De l’avant à l’après-guerre. L’extrême droite en Belgique francophone, p. 77, Bruxelles, De Boeck, 1994.

(2) Parti socialiste de Belgique, ancêtre du PS actuel.

(3) Et qui deviendra la loi dite «Moureaux» du 30 juillet 1981.