Espace de libertés – Mars 2017

«Swagger»: la banlieue, autrement


Arts
Entre réalité, fantasmes et fantaisie, Olivier Babinet fait parler onze enfants du siècle et des banlieues parisiennes dans «Swagger», son nouveau documentaire. Innovant et percutant!

N’y allons pas par quatre chemins: Swagger est un magnifique documentaire sur l’adolescence! Sur une certaine jeunesse d’aujourd’hui. Celle qui vit en banlieue. Celle qui, comme les autres, s’interroge sur le monde qui l’entoure… Il y a Naïla, qui veut devenir architecte, Régis, qui rêve d’être styliste… C’est vrai qu’il en impose, Régis, avec son sourire parfait, son imper et son nœud pap’… Et puis, il y a Paul, toujours en costard-cravate, très fort à la batterie, et qui aime danser.

Avec huit autres de leurs camarades du collège Claude-Debussy à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, Naïla, Régis et Paul forment une sacrée bande. Dès la première image, un parti-pris donne toute sa saveur au film: le réalisateur a choisi de les laisser parler. Autant de témoignages parfois hilarants, parfois bouleversants, comme celui d’Aissatou et son sac à dos rose, qui se sent «comme un fantôme» dans ce collège et, trop émue, n’arrive pas à prononcer son prénom. Bref, c’est avec une grande sincérité que ces gamins de 10 à 16 ans évoquent donc leurs ambitions et leurs rêves. Et l’on tombe immédiatement sous leur charme. Parce que le film, sans jamais verser dans le règne du Bisounours tout-puissant, dégage un sacré faisceau d’ondes positives.

Des ados tout bonnement épatants

C’est d’abord comme professeur, dans le cadre d’ateliers sur le cinéma, qu’Olivier Babinet a débarqué dans des collèges de Seine-Saint-Denis. Il y a rencontré ces adolescents épatants, qui lui ont donné l’influx pour mettre les cahiers au feu et le film au milieu. «On a travaillé pendant deux ans pour des courts-métrages sur divers sujets. Puis, j’ai eu envie de ce long-métrage destiné à leur donner la parole.» D’emblée, les collégiens n’hésitent pas à parler. Évoquant leurs épreuves familiales et scolaires comme leurs aspirations profondes. «Ils ont compris que je n’avais aucune intention de les présenter comme des victimes», poursuit Babinet.

Du jeune garçon qui assume totalement son côté efféminé à celui qui avoue qu’on «rate sa vie si on ne parvient pas à tomber amoureux», tous s’expriment à cœur ouvert. Parlant de guerre, de racisme, mais aussi de mode et de… Mickey Mouse! «Le temps passé à leur expliquer comment on faisait du cinéma leur a permis d’apprivoiser la caméra. Puis de l’oublier quand ils sont devant. On n’était pas loin d’une logique façon Strip-Tease», insiste-t-il. Tout cela sans oublier, pour faire bonne mesure, quelques séquences «jouées» («que l’on a refaites plusieurs fois, mais elles sont rares»). Comme la reconstitution d’une descente de police, où les jeunes restent, malgré les répétitions, d’un naturel inouï.

Entre cool attitude et tête bien pleine

Et c’est là que le casting du film se révèle parfait. Il a en effet permis un fantastique degré d’identification d’où naissent une très forte empathie pour les personnages et une cohérence bluffante de la mise en scène. Pa conséquent, c’est toujours l’émotion qui (nous) gagne. D’autant qu’ici, le stéréotype est transcendé par la réalité. Surtout lorsque cette réalité apparaît plus proche que prévu et que la proximité utilise le divertissement pour renforcer la compréhension de cette même réalité. On se surprend alors à retrouver un peu de nous dans la personnalité de ces ados, Bref, leur swag, c’est-à-dire leur «mélange de cool attitude et de tête bien pleine».

En fait, Swagger agirait un peu comme l’œuvre d’un cousin éloigné de Riad Sattouf. Qui, lui aussi, sait donner une portée simple, universelle et cool, à des contextes pourtant très complexes. Comme l’adolescence dans Les Beaux Gosses, ou la vie en Syrie dans L’Arabe du futur. Presque aussi forts que ce Swagger quand il s’agit de nous faire comprendre que tout n’est ni perdu ni bouché… loin de là. Bilan: le tableau d’ensemble est émouvant, pas bête, plein d’une force vive, joyeuse et contagieuse, aux antipodes du misérabilisme et de la condescendance. Et ça fait un bien fou!