Espace de libertés – Mars 2017

Observer, alerter, dénoncer: la prison en sursis?


Libres ensemble
À l’heure où le progrès, la bonne gestion, la rationalité et l’efficacité sont les maîtres mots des gouvernants, le parc pénitentiaire se déploie mais sans gouvernail. Le jargon managérial qu’on retrouve dans les rapports d’activités de la justice masque mal le non-sens qui prédomine sur le terrain où on semble plutôt aller droit dans les murs qui craquellent de vétusté ou qui s’érigent sans vision.

Face aux multiples promesses gouvernementales de diminution de la population carcérale, seuls les multiples projets de construction de nouvelles prisons restent prioritaires. Or, cette politique ne tient pas compte des études criminologiques et des recommandations des instances internationales (les comités contre la torture et les traitements inhumains et dégradants du Conseil de l’Europe et des Nations unies) qui s’épuisent à rappeler que l’augmentation de la capacité pénitentiaire ne suffira pas à résoudre le problème de la surpopulation carcérale.

Construire de nouvelles prisons, pas une solution!

Le tout récent rapport de l’Observatoire international des prisons (OIP, section belge) ne cache pas son amertume: «Les mesures visant réellement1 une diminution de la population carcérale (comme la limitation dans le temps de la détention préventive) n’ont pas vu le jour. Tandis que “les décisions destinées à faire des économies ou des instructions purement sécuritaires” ont été concrétisées, ou vont l’être. Le portefeuille reste la préoccupation principale, et tant pis si ces économies se font sur le dos de justiciables fragilisés.»

Point d’économie pour la construction de nouvelles infrastructures pénitentiaires dont la plupart s’inscrivent dans le cadre de partenariats public-privé. Par exemple, le coût de la construction et de l’exploitation d’un mégacomplexe pénitentiaire pour 1 190 détenu(e)s à Haren est estimé à environ 3 milliards d’euros sur 25 ans. Ce dossier explosif génère de graves manquements à l’intérêt général, dénoncés sans relâche par une pléthore d’acteurs associatifs et citoyens (dont une plateforme pour sortir du désastre carcéral réunissant plus de vingt associations de secteurs différents2).

Des conditions de détention déplorables

L’OIP dévoile ces politiques iniques qui ont des impacts directs délétères sur les personnes incarcérées et leurs proches. Un des objectifs de l’OIP est en effet de «briser le secret» qui entoure les lieux de détention. Avec comme références les droits de l’homme et le respect de la personne humaine, l’OIP considère que chacun a droit, en tous lieux, à la reconnaissance de sa personnalité juridique et que nul ne peut être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. «L’OIP ne peut que déplorer que les constations faites par le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe se répètent de façon presque systématique depuis près de 10 ans maintenant.»

L’OIP scrute tous les aspects de la détention: depuis les conditions d’hygiène, parfois dignes du Moyen Âge, qui prévalent dans les prisons vétustes; jusqu’aux conditions des régimes d’exception (dont les fameuses nouvelles sections pour détenus «terroristes») en passant par le manque d’activités et le travail (décrit par les détenus comme du «néo-esclavagisme»), etc.

Petites avancées…

Évidemment des améliorations existent. On pense à l’augmentation de la fréquence des visites des familles, l’ouverture à des intervenants extérieurs, le «confort» de certaines nouvelles cellules. De même, certains directeurs/trices plus éclairé(e)s tentent de mettre en place des régimes conformes à l’esprit de la loi pénitentiaire de 2005. Cette loi qui, en 2017, n’est que partiellement appliquée, et ce, essentiellement dans sa dimension sécuritaire (discipline, fouille, régimes et mesures de sécurité particuliers, etc.).

… et grand léthargie

Par contre, les dispositions visant à limiter les effets préjudiciables de la détention, qui est pourtant au centre de la loi, ont été gardées sous le boisseau (comme la mise en œuvre du plan de détention individuel, l’application de régimes communautaires, la facilitation de l’expression collective des personnes incarcérées, etc.).

La mise en place d’un véritable droit de plainte et d’un mécanisme efficace de contrôle des prisons se fait également attendre. La Belgique n’a toujours pas ratifié le protocole additionnel facultatif à la Convention (appelé OPCAT) dont elle est pourtant signataire. L’objectif de ce protocole est la mise en place d’un mécanisme national de prévention de la torture et nécessite la création d’un organe indépendant de contrôle des lieux privatifs de liberté. La plateforme associative OPCAT belge plaide pour que soit enfin mis en place cet organe de contrôle et qu’une réelle indépendance entre les fonctions contrôle, de plainte et de médiation soit garantie. Elle regroupe plusieurs associations actives dans le domaine pénitentiaire (Amnesty International, Ligue des droits de l’homme, Défense des enfants international, OIP, Bruxelles laïque, CAL, ACAT).

De manière générale, l’OIP, avec d’autres, «continuera de dénoncer ce refus du gouvernement de s’attaquer au problème dans sa globalité». Et s’il est primordial de veiller aux conditions de détention, il est aussi urgent de remettre en question la logique profonde de l’enfermement: punir et soustraire de la société. Car «l’un des nœuds majeurs de la “question carcérale” se trouve […] dans la sélection de ceux et celles à qui ce type de châtiment va être imposé. Le fléau de la justice ne frappe pas de manière équitable et suit des logiques singulièrement différenciées selon la classe, le genre ou la race». Il nous faut donc avec pugnacité contribuer à «interroger la production et la gestion de l’enfermement, ses dynamiques sociales, judiciaires, économiques, ses logiques institutionnelles mais aussi transnationales»3.

 


(1) Une diminution de la surpopulation est constatée en 2015-2016, due notamment à la création de centres de psychiatrie légale, du rapatriement plus effectif des condamnés sans droit de séjour (selon le ministre).

(2) Dont le CAL et Bruxelles Laïque sont membres.

(3) «Prison: l’idéologie de l’enfermement», dans Mouvements des idées et des luttes, n° 88, 2016.