Espace de libertés – Mars 2017

Tout est politique, la sexualité aussi


Libres ensemble
En Belgique, l’inégalité entre femmes et hommes, entre filles et garçons, reste la règle dans tous les domaines de la vie: études, finances, professions, reconnaissance sociale, santé, etc. Cette discrimination structurelle généralisée a un impact sur la vie des femmes, jusqu’à mettre en péril leur droit à la santé.

Cette violence institutionnalisée légitime, in fine, la violence physique dont les femmes belges restent victimes, dans tous les milieux et à tous les âges. Et ce constat se répète d’année en année, sans que le véritable enjeu soit nommé: le ventre et le sexe des femmes, insupportablement incontrôlables… Pourtant, grâce aux luttes féministes, l’évolution fut nette au cours du XXe siècle. En 1900, la loi reconnaissait à la femme mariée le droit à l’épargne, le droit d’obtenir un contrat de travail et d’encaisser elle-même son propre salaire (avec un maximum de 3 000 francs par an). En 1969, interdiction était faite aux employeurs de renvoyer les femmes pour cause de grossesse ou de mariage. Enfin, en 1976, l’égalité des hommes et des femmes dans le mariage est reconnue, y compris les droits de propriété matrimoniale. Les femmes mariées peuvent enfin ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur conjoint.

Au XXIe siècle cependant, l’homme le plus pauvre de Wallonie est une femme. L’inégalité dans l’emploi comme l’inégalité salariale constituent des constantes objectivées. L’accès aux postes à responsabilité, plus rémunérateurs, reste durablement entravé. Néanmoins, sous la pression, la présence de femmes dans les conseils d’administration des entreprises du BEL20, entre 2011 et 2013, est passée de 11 % à près de 20 %. Au sein des services publics fédéraux, les femmes ne représentent que 11,6 % des directeurs généraux; leur représentation est meilleure au sein des autorités académiques: 23 %. N’empêche, la moitié de la population peine péniblement à obtenir une place sur cinq.

La Belgique à la traîne pour l’obtention des premiers droits civiques

Les libertés civiques, accordées au compte-gouttes, sont d’abord réservées aux femmes «vertueuses». Après la Première Guerre mondiale, quelques femmes obtinrent le droit de vote: les mères et les veuves de militaires et de civils tués par l’ennemi ainsi que les femmes emprisonnées ou condamnées par l’occupant. En 1920, la loi du 15 avril accordait le droit de vote aux femmes aux élections communales (à l’exception des prostituées et des femmes adultères) mais il faudra attendre 19481 pour que le droit de vote leur soit enfin accordé.

En 2003, la loi sur la parité et l’alternance femme/homme sur les listes électorales fait suite à la loi Smets-Tobback de 1994 qui imposait aux partis de réserver 1/3 des places de leurs listes aux femmes à tous les niveaux électoraux. Pourtant, dans les deux derniers gouvernements belges, c’est la bérézina; le gouvernement Di Rupo de 2012 compte seulement 4 femmes ministres et une seule secrétaire d’État sur 18 postes, et celui de Charles Michel, une femme ministre de moins pour un même nombre de portefeuilles… Le pire est le gouvernement wallon, avec une seule femme pour 9 ministères et cela depuis 2007! La Wallonie fait mieux cependant au niveau parlementaire, puisqu’elle compte 26 députées sur 75 (soit 16 % de plus qu’en 2004).

Quant à la liberté sexuelle, la Belgique reste structurellement marquée par une inégalité, même si aujourd’hui personne ne le reconnaît de manière aussi crue. Historiquement, c’est un fait. Le Code pénal de 1867 prévoit un emprisonnement de trois à vingt-quatre mois pour la femme adultère. Mais le mari volage, lui, encourt seulement entre un et douze mois de prison – mais uniquement s’il a fait rentrer sa maîtresse sous le toit conjugal!

Le droit à décider de sa vie… de femme

L’accès à l’IVG est un indicateur du degré de démocratie d’un pays. Alors que l’IVG reste inscrite dans le Code pénal comme un «délit contre l’ordre des familles et la moralité publique», les attaques sur l’accès à l’avortement sont aujourd’hui très réelles. Sites internet mensongers, évangélistes en charge d’éducation sexuelle dans les écoles, lignes téléphoniques d’urgence noyautées par des anti-IVG. La liste est longue. Les propositions de loi sur la table de la commission justice qui visent à donner un statut au fœtus et à inscrire dans le Code civil qu’un embryon est un enfant sont là pour nous alerter sur l’imminence du danger.

L’accès à l’IVG est un indicateur du degré de démocratie d’un pays.

Ce même Code pénal considère qu’avorter est un délit contre l’ordre des familles et la moralité publique. En 1923, pour combattre les effets du déficit des naissances dû à la guerre, la contraception est purement et simplement interdite. Ce n’est qu’à la suite du tollé provoqué par l’affaire Peers (1973) que cette situation commencera à changer. Il faudra attendre la loi de 1990 pour que le délit soit enfin excusé sous certaines conditions. Mais, il faut souligner avec force que l’avortement reste toujours bien inscrit dans le Code pénal, comme toute «publicité» sur l’avortement2: un comble.

Politiquement, le tabou reste de mise: il a fallu interpeller durant deux ans la ministre de la Santé pour que le site du SFP Santé publique diffuse enfin une information officielle sur l’IVG. Ce fut chose faite en avril dernier sous l’onglet début et fin de vie… Pas la moindre liste référençant les centres pratiquant l’avortement, mais bien, en résumé, les conditions strictes de la loi, à commencer par l’obligation de proposer toutes les aides pour garder la grossesse pour ensuite donner l’enfant à l’adoption!

La culpabilisation des femmes et le déni de leur autonomie de décision doivent cesser.

Il faut absolument aujourd’hui sortir l’IVG du Code pénal, envisager cette question sous l’angle de la santé des femmes et non plus dans une optique de répression pénale et judiciaire. La culpabilisation des femmes et le déni de leur autonomie de décision doivent cesser. Il est plus que temps de reprendre les combats pour que les femmes belges soient, enfin, traitées de manière égalitaire, dans tous les domaines de leur vie.

Les femmes, leur sexe, leur ventre: un contrôle structurel et violent

femmes droits violenceTous ces constats ne sont pas nouveaux. Pourquoi les aligner? Comment et pourquoi s’indigner? Parce que cette violence quotidienne, structurelle, qui touche tous les domaines de la vie des femmes ne peut pas être déconnectée de la violence physique et sexuelle subie par la majorité des filles et des femmes dans notre pays. Non, les agresseurs ne sont pas le plus souvent des inconnus qui s’attaquent aux filles dans les rues ou les quartiers. Ce sont des hommes et des garçons qui connaissent leur victime, et qui s’arrogent le droit de la réduire au statut d’objet. Cette instrumentalisation des femmes et de leurs corps se soutient de toutes les autres formes légitimées de discrimination.

Il est grand temps de regarder l’effrayante réalité en face. La société belge est sexiste et se singularise pas un taux de viol absolument effrayant: 100 par jour selon la secrétaire d’État à l’Égalité Elke Sleurs3. En Wallonie, près de 28 000 femmes déclarent avoir subi, au cours des douze derniers mois, des violences physiques et/ou sexuelles. Plus de 25 % des coups et blessures volontaires rapportés aux parquets ont lieu au sein du couple. Si toutes les femmes, de tous âges et tous milieux, sont concernées plus d’une femme sur quatre qui passe par un hébergement en maison d’accueil n’a pas 25 ans. Sur l’ensemble du territoire, 60 % des femmes (contre 55 % dans l’UE) disent avoir subi du harcèlement sexuel depuis l’âge de 15 ans. Enfin, phénomène nouveau, chaque année, entre 230 et 300 viols collectifs sont enregistrés en Belgique.

Vous vous en offusquez? Ce n’est pas le cas de tout le monde: selon l’Eurobaromètre de juin 20164, pour 57 % des Belges, l’ivresse, la drogue, une tenue légère, avoir accepté un rendez-vous ou ne pas s’opposer physiquement à l’agresseur constituent des circonstances qui justifient le viol. CQFD.

 


(1) 1906: Finlande; 1913: Norvège;1915: Danemark; 1917: Pologne; 1918: Allemagne, Autriche, Estonie, Géorgie, Hongrie, Kirghizistan, Lettonie, Lituanie et Russie; 1919: Islande, Biélorussie, Ukraine, Luxembourg, Pays-Bas et Suède; 1921: Tchécoslovaquie, Arménie et Azerbaïdjan; 1928: Royaume-Uni et Irlande, 1931: Espagne; 1934: Turquie; 1944: France; 1945: Italie, Croatie et Slovénie; 1946: Albanie; 1947: Bulgarie et Yougoslavie; 1948: Belgique et Roumanie.

(2) Article 383-3 du Code pénal

(3) Campagne fédérale Saint-Valentin 2017 #100parjour et chiffres wallons sur www.iweps.be.

(4) Commission européenne, «Gender-based violence», Special Eurobarometer 449 report, novembre 2016.