La nouvelle extrême droite allemande, qui devrait faire une entrée à l’assemblée fédérale (Bundestag) à l’automne 2017, est encore dans sa phase de fondation. Pour accéder au pouvoir, elle veut s’inspirer du FPÖ autrichien.
Sans la crise des réfugiés de l’automne 2015, l’Allemagne n’aurait sans doute toujours pas de formation populiste. L’AfD (Alternative pour l’Allemagne), créée en 2013, a été d’abord un parti anti-euro avant de se transformer en parti d’extrême droite lors du «putsch» de juillet 2015, au congrès d’Essen, et la mise au ban des fondateurs et des «experts économiques».
Lors des derniers scrutins régionaux, cette jeune formation a réussi à rassembler les votes protestataires contre la politique humanitaire de la chancelière, jusqu’à vampiriser les électeurs du parti néonazi NPD (Parti national-démocrate d’Allemagne). «Les arguments de l’AfD ont séduit l’extrême droite déjà existante», confirme Matthias Micus, politologue à l’Institut de recherches sur la démocratie de Göttingen. Pour la gauche radicale (Die Linke), l’AfD est une sorte de version «light» du NPD.
Dernier rescapé de la dissolution de la DVU (Union du peuple allemand) et de la perte d’influence de Die Republikaner, le NVD rassemble aujourd’hui à peine environ 5 000 membres. Après avoir été éjecté du dernier Parlement régional où il était encore représenté aux élections régionales de 2016, le NPD a échappé de justesse en janvier dernier à une interdiction du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe en raison de son «insignifiance politique» et malgré son «mépris de la dignité humaine et des principes démocratiques de liberté».
Si l’AfD est souvent comparé au Front national français, les populistes allemands s’en distinguent néanmoins par leur programme économique. Frauke Petry, la présidente de l’AfD prône le libéralisme et estime que le FN est beaucoup trop «socialiste» à son goût. Le coprésident, Jörg Meuthen, a même préconisé en janvier dernier de «prendre de la distance» avec les Français en raison des «tendances protectionnistes» de Marine Le Pen.
L’AfD reste encore profondément divisé entre l’aile nationale-conservatrice et l’aile proche des mouvements néonazis.
Le «polissage», une inspiration autrichienne
Les Allemands préfèrent prendre en exemple les nationalistes du FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs) dont Jörg Haider a été longtemps la figure de proue. Bien implantée en Autriche, l’extrême droite autrichienne a une longue expérience de gouvernement. Elle a déjà partagé le pouvoir avec les sociaux-démocrates entre 1983 et 1986 et avec les conservateurs entre 2000 et 2005. Le FPÖ dirige actuellement le gouvernement régional du Burgenland avec les sociaux-démocrates. L’extrême droite autrichienne n’est plus un épouvantail. L’élection présidentielle autrichienne, remportée en décembre par l’ancien écologiste Alexander Van der Bellen, a confirmé l’ancrage du FPÖ dans la société. «Près d’un électeur sur deux a voté pour ce mouvement anti-européen, pangermanique et xénophobe. C’est énorme», insiste Frank Decker, politologue à l’université de Bonn. Comme le FN en France, le FPÖ, fondé en 1955, a suivi une stratégie de «polissage» en relativisant ses positions antisémites et xénophobes. Les électeurs n’ont donc plus l’impression de voter pour un parti extrémiste.
Un parti, deux ailes
Les populistes allemands entendent suivre cette même stratégie de «polissage» pour accéder au pouvoir. Mais l’AfD reste encore profondément divisé entre l’aile nationale-conservatrice, incarnée par la présidente Frauke Petry, et l’aile proche des mouvements néonazis, emmenée par Björn Höcke, le chef du parti en Thuringe.
Frauke Petry reste menacée par cette aile «dure». «Ils sont nombreux à vouloir se débarrasser d’elle. Je ne crois pas qu’elle survivra aux divisions», insiste Gero Neugebauer, politologue à l’Université Libre de Berlin (FU). Bien qu’elle ait fait elle-même scandale en cautionnant l’utilisation des armes à feu contre les réfugiés aux frontières, Frauke Petry doit régulièrement se démarquer des tirades néonazies de son collège de Thuringe qui peste contre la «stratégie de reproduction des Africains» et contre le «monument de la honte» (mémorial de l’Holocauste à Berlin). Le maintien de Björn Höcke au sein du parti, sanctionné en janvier par des «rappels à l’ordre», montre que l’aile néonazie garde une certaine influence.
Alexander Gauland, président régional d’AfD pour le Brandebourg, ancien membre du Parti chrétien-démocrate (CDU), fait lui aussi partie des détracteurs de Frauke Petry. Contrairement à elle, Gauland soutient en effet le mouvement protestataire et xénophobe Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), fondé par le repris de justice Lutz Bachmann, condamné à plusieurs années de prison pour cambriolages, coups et blessures, vols et trafic de drogue.
Un programme qui séduit les abstentionnistes et les «citoyens révoltés»
Réduction des pouvoirs «de Bruxelles», retour des États souverains, sortie de l’Union européenne (UE), élection directe du président de la République, refus de l’adhésion de la Turquie à l’UE, adoption du référendum d’initiative populaire sur le modèle suisse (démocratie directe), suppression de la redevance audiovisuelle obligatoire et remise en cause de la théorie d’un réchauffement climatique… L’AfD veut un «rapport sain au patriotisme» pour en finir avec «l’Allemagne vérolée par les soixante-huitards». Enfin, tout comme les autres formations d’extrême droite en Europe, le rejet de l’islam est un principe fondateur. «Je ne veux pas d’immigrés du Moyen-Orient chez nous», répète Alexander Gauland, qui dénonce une «volonté d’hégémonie» de la troisième religion du pays.
En remportant plus de 24 % des voix en Saxe-Anhalt en mars 2016, l’AfD a démontré qu’il mobilisait les abstentionnistes et les «citoyens révoltés» (Wutbürger). En effet, le parti s’est imposé comme deuxième force politique dans cette région de l’ex-RDA en se substituant à la gauche radicale (Die Linke) comme parti protestataire. L’AfD a même devancé les conservateurs (CDU) aux élections de septembre 2016 dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, la propre circonscription d’Angela Merkel. Enfin, en dépassant les 15 % lors du scrutin du Bade-Wurtemberg en mars 2016, l’AfD a démontré qu’il n’est pas un phénomène est-allemand mais un mouvement national. Crédité de 11 à 15 % des intentions de vote, l’AfD s’est déjà substitué aux écologistes comme troisième force politique fédérale.
Frauke Petry table sur une entrée de son parti à l’assemblée fédérale en 2017. Encouragée par les sondages à huit mois des élections, l’AfD pourrait en effet faire sa grande entrée au Reichstag1. Du jamais vu en Allemagne depuis la victoire électorale des nazis en novembre 1932…
(1) Palais qui abrite le Bundestag ou Diète fédérale allemand, l’assemblée parlementaire, NDLR.