Espace de libertés – Mars 2017

« La N-VA n’est pas un Vlaams Belang light »


Dossier

Un entretien avec Jos Geysels

Il y a 25 ans, le Vlaams Blok était le grand gagnant des élections en Flandre. Face à l’émergence du parti d’extrême droite, le fameux «cordon sanitaire» fut mis au point. L’un de ses initiateurs, l’écologiste Jos Geysels (ex-Agalev) revient sur son origine et son utilité. Aujourd’hui, il juge que le Vlaams Belang n’a pas changé.

Le texte de 1989 n’interdisait pas les partis d’extrême droite, ni d’élever une barrière médiatique à leur égard

Espace de Libertés: Dans quel contexte est né le «cordon sanitaire»?

Jos Geysels: Avec l’arrivée de l’extrême droite, un texte fut signé par les présidents des partis démocratiques flamands au printemps 1989. À l’époque, le Vlaams Blok n’était pas tellement important au niveau électoral. Notre motivation était assez simple: en démocratie, on peut évidemment discuter, débattre, être d’opinions différentes, mais, en tant que démocrates, il n’y a qu’une seule condition essentielle à sa vitalité, c’est le respect des droits de l’homme et de l’égalité des chances entre les individus, qu’importe leur origine, leur sexe, leur religion… Tous les partis qui ne se retrouvaient pas autour de ces principes étaient «hors jeu» à n’importe quel niveau de pouvoir. C’est tout… Je suis un grand partisan de la liberté d’expression, mais cela ne signifie pas que vous pouvez tout dire. Nous ne devons pas être tolérants face à l’intolérance.

Et les autres partis ont facilement adhéré à cette déclaration de principes?

Que ce soit avec les partis traditionnels ou l’ancienne Volksunie, il n’y a pas eu beaucoup de discussions. Même si nous étions adversaires, le Vlaams Blok était notre ennemi. C’est surtout après le Zwarte Zondag, lorsque le Vlaams Blok a fait une percée spectaculaire aux élections de 1991, qu’il y a une unanimité des partis démocratiques pour maintenir le cordon sanitaire.

Aujourd’hui, une idée comme le cordon sanitaire pourrait-elle voir le jour de la même façon qu’en 1989?

Je le crois. Depuis le texte original, il y a eu d’autres résolutions au Parlement flamand en 1991 et 1992, dans lesquelles nous avons réaffirmé les principes du cordon sanitaire face à l’extrême droite. Je continue de croire que cette lutte pour défendre la démocratie a toujours la même vigueur aujourd’hui, même si j’ai vu dans quelques partis, notamment lors des élections communales, cette menace de vouloir rompre le «cordon».

Pourtant, au moment de l’ascension de la N-VA, on a vu des élus du Belang rejoindre les rangs du parti de Bart De Wever…

Vlaams Belang N-VA laïcitéOui, c’est un fait, surtout pour des revendications nationalistes. Mais cela ne fait pas de la N-VA un parti extrémiste. C’est à mes yeux un parti démocratique. La N-VA n’est pas un Vlaams Belang light. Le croire est un non-sens. Tout comme je ne pense pas que la N-VA osera briser le «cordon sanitaire». Certains membres de la N-VA, je ne le nie pas, ont des déclarations ambiguës. Mais je ne pense pas qu’il y ait encore en Flandre de coalition Vlaams Belang-N-VA. Je le fais depuis au moins 20 ans, mais il est très important de rappeler que le texte de 1989 n’interdisait pas les partis d’extrême droite, ni d’élever une barrière médiatique à leur égard, ni d’empêcher de discuter avec les électeurs des thèmes mis en avant par l’extrême droite. Le texte original appelait seulement à ne pas gouverner avec ces partis. Et jusqu’à ce jour, aucun parti démocratique flamand n’a franchi ce pas.

Au fil des ans, plusieurs personnes se sont demandé si ce cordon était une bonne idée, étant donné que le Vlaams Belang prenait de plus en plus de poids en Flandre.

Avant l’émergence de la N-VA, le Vlaams Belang était à un niveau très élevé, notamment à Anvers avec 33% d’électeurs. Presque aux portes du pouvoir. Dès lors, peut-on dire que le «cordon sanitaire» a été un succès?

Au fil des ans, plusieurs personnes se sont demandé si ce cordon était une bonne idée, étant donné que le Vlaams Belang prenait de plus en plus de poids en Flandre. À leurs yeux, le «cordon sanitaire» ne fonctionnait pas. Pour eux, c’était une mauvaise stratégie. Mais selon moi, il n’y en avait aucune autre, surtout pas celle de conserver le pouvoir. Le «cordon» est là pour maintenir et protéger des valeurs universelles, celles des droits de l’homme, partout où elles sont menacées. C’est ce que l’histoire nous a montré. Le problème en Flandre était que certains analystes politiques, certains journaux, ne voyaient dans le «cordon» qu’une manœuvre tactique pour les partis traditionnels. Cela n’a jamais été le cas. Même si j’ai dû m’en justifier de nombreuses fois. Je continue d’être énervé, même fâché, quand certains ne voient que dans cette volonté de protéger notre vivre ensemble une simple tactique politicienne. Mais il faut le répéter, c’est nécessaire. Reste que dans le contexte flamand, le «cordon» a atteint son but puisque le Vlaams Blok, puis le Vlaams Belang, ne se sont jamais retrouvés au pouvoir.

Hélas, plus de 25 ans après la mise en place du «cordon sanitaire», le Block/Belang est toujours bien là…

C’est vrai. Certes, il a changé de nom entre-temps, mais c’est toujours le même. Il a dû le faire parce que la justice l’a condamné pour discrimination et racisme. Jusqu’aujourd’hui, rien n’a vraiment évolué à sa tête. Les 70 points du Vlaams Blok1 n’ont pas été remis en cause par la nouvelle génération. Il est vrai que Tom Van Grieken, le nouveau président du Vlaams Belang, essaie d’arrondir les angles par rapport au passé, mais suite à la visite récente de Filip Dewinter et d’autres membres du Vlaams Belang en Grèce auprès des néonazis d’Aube dorée, je n’ai aucune raison de croire que ce parti ait changé d’un iota.

À côté de la menace du Vlaams Belang en Flandre, on assiste à une recrudescence du populisme, une défiance des citoyens vis-à-vis des politiques à travers l’Europe et dans le monde… Comment analysez-vous cette situation?

Il y a eu, à la fin des années quatre-vingt, de moins en moins de différences entre les partis. Que ce soit à gauche ou à droite, la même pensée unique régnait. D’où cette défiance. On a vu aussi ces dernières années des positions plus radicales émerger dans la société, ce qui conduit à une crise des partis traditionnels qui n’arrivent pas à rompre avec le passé. Le PS a besoin, par exemple, en Wallonie d’en finir avec certaines habitudes. Cela ne se fait pas encore. Tous les partis traditionnels se retrouvent avec ce genre de problèmes. Ils doivent revenir à leur base et aussi se rajeunir. Pour les populistes, c’est un terrain propice. Mais à mes yeux, cette situation n’a rien d’étonnant. D’autant que les partis classiques ne se rendent pas compte que l’avenir de beaucoup de citoyens est très incertain. On vit dans un pays où 16 % des citoyens vivent dans la pauvreté et plus de 23 % dans la précarité. Et parmi eux, il y a de nombreuses personnes issues de l’immigration. C’est un problème fondamental auquel les politiciens devraient porter plus d’attention.

Dans ce contexte, le «cordon sanitaire» reste plus nécessaire que jamais?

Oui, il reste tout à fait actuel, en effet. Mais je vois qu’on est de plus en plus tenté d’être souple et flexible pour répondre à telle ou telle stratégie. Au détriment, parfois, de certaines valeurs. Et cela m’inquiète. En politique, il faut penser en stratège et agir en tacticien. Je l’ai moi-même fait, mais en préservant toujours la démocratie. On peut perdre les élections mais pas la démocratie.

Perdre la démocratie, c’est un risque possible en Europe?

Évidemment! Pour les gens, qu’est-ce que l’Europe? Je suis fondamentalement pro-européen. Mais défendre cette «monstruosité» telle qu’elle existe aujourd’hui, telle qu’elle fonctionne, c’est très difficile. On doit le faire, mais il faudrait que l’Europe prenne mieux soin de ses citoyens. Les gens aspirent à plus de démocratie. Vous pouvez le voir dans l’opposition actuelle à l’Union européenne. Les citoyens sont en colère… En attendant, les partis traditionnels continuent de penser qu’ils peuvent gagner l’élection avec un budget équilibré et en promettant la croissance à tout prix. Mais c’est un non-sens! Tant que les partis restent dans leur schéma classique, sans se soucier de certaines réalités, les citoyens cherchent des alternatives. Malheureusement, ils les trouvent de moins à moins dans les partis démocratiques, ce qui fait le jeu des populistes, pas de notre vivre ensemble.

 


(1) Allusion au programme en 70 points «Pour la solution du problème des étrangers» publié par le Vlaams Block en 1992.