Espace de libertés – Mars 2017

Malte se met à l’heure humaniste


International
Sur cette île minuscule et belle, les valeurs humanistes progressent dans une culture catholique forte.

Présidée depuis 2014 par Marie Louise Coleiro Preca, la République de Malte assume la présidence du Conseil européen de janvier à juin 2017. À l’agenda: la migration, le marché intérieur, la sécurité, l’inclusion sociale, le voisinage de l’Europe et le secteur maritime. L’enjeu: restaurer la confiance en l’Europe. Un programme vaste et délicat dans un contexte troublé par le Brexit et l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, l’instauration d’un pouvoir fort et de moins en moins démocratique en Turquie, les relations houleuses avec la Russie et la montée de l’extrême droite dans plusieurs pays de l’Union.

Président de la Fédération humaniste européenne, Pierre Galand a rencontré, le 20 janvier 2017, le Premier ministre Joseph Muscat afin de discuter avec lui des thèmes de cet agenda dans le cadre du dialogue avec les organisations religieuses et non confessionnelles européennes (art. 17 du traité sur le fonctionnement de l’UE).

Malte évite de choquer les convictions religieuses d’une population encore très pratiquante.

Catholicité de l’État

Dans ce pays de 421 000 habitants, la religion catholique est, selon la Constitution, religion officielle de l’État. Le blasphème, ou plus exactement le «crime contre le sentiment religieux», y est encore réprimé. Cependant, en 2014, un cours d’éthique pour les élèves qui ne veulent pas suivre le cours de religion a été instauré. La même année, les droits des LGBTQI ont été reconnus. En 2015, le commissaire maltais aux réfugiés a accordé une protection internationale à une personne transgenre.

Helena Dalli, ministre du Dialogue social, que nous avons rencontrée en mai 2016 lors du congrès de la FHE à Malte, soulignait que le divorce n’a été reconnu sur l’île qu’il y a 5 ans seulement. Et que si l’avortement y est toujours interdit, la lutte contre les discriminations progresse. Quant à la politique d’intégration des réfugiés, elle est incluse dans la politique démographique, sociale, éducative, d’emplois, etc. «Nous voulons avant tout répondre aux besoins des enfants des demandeurs d’asile, les accepter dans les écoles est une priorité», dit-elle. «Nous travaillons en dialogue avec la société civile afin de simplifier les procédures administratives, nous établissons des contacts avec les employeurs pour trouver des emplois temporaires pour les migrants. Nous créons ainsi un forum pour l’intégration où la société civile apporte son expertise et des conseils au gouvernement. De même, une commission indépendante du gouvernement conseille le parlement et vérifie l’application des lois promouvant l’égalité et la lutte contre les discriminations.»

Une politique des petits pas

Lors de sa rencontre avec Pierre Galand, le Premier ministre maltais a souligné les blocages qui persistent sur certaines questions comme la lutte contre les discriminations en Europe, la création d’un mécanisme de surveillance de l’état de la démocratie, des droits humains et de la justice dans les États membres. Pour les sujets délicats que sont l’avortement et l’euthanasie, Malte préfère la politique des petits pas, progressant chaque fois qu’une opportunité se présente mais évite de choquer les convictions religieuses d’une population encore très pratiquante. Quant à l’accueil des réfugiés, le soutien de la société civile est plus que jamais nécessaire.

Rencontre avec des demandeurs d’asile

Une délégation de la FHE, guidée par des membres de la section maltaise des humanistes européens, avait rencontré quelques réfugiés en majorité somaliens, coincés dans ce paradis pour touristes mais prison pour eux: «Nous aimons notre pays, nous voulons y rentrer mais, là-bas, j’ai connu 26 ans de guerre, il n’y a pas d’écoles, pas de justice. J’ai 58 ans. Cela fait dix ans que je suis ici. Je voulais demander asile en Suède et je suis bloqué ici, sans travail.» Un autre: «Ma demande de statut de réfugié a été rejetée, je ne peux pas travailler, ni recevoir l’aide sociale. Je suis bloqué ici, sans droits.»1

Le principal problème est le logement: beaucoup de réfugiés parlent anglais et trouvent de petits boulots, non officiels bien entendu. Mais les propriétaires refusent de leur louer des logements, même en mauvais état. Le centre d’accueil familial est réservé aux familles et il n’y a pas de logements sociaux pour les autres.

Le regroupement familial n’est pas autorisé à Malte et, d’ailleurs, les jeunes réfugiés ont peu de contacts avec leur famille restée là-bas car les communications coûtent cher. Un adulte jouissant d’un statut reconnu reçoit 300 € par mois. Les mères de famille, abritées dans un centre familial, doivent tout assurer pour leurs enfants. Beaucoup ne parlent pas l’anglais, et encore moins le maltais, et n’ont donc aucune chance de trouver du travail.

Un accueil à améliorer

Pourtant, le gouvernement maltais fait de réels efforts pour intégrer les quelque 18 000 réfugiés arrivés sur son territoire ces dix dernières années. Avec 17 réfugiés pour 1 000 habitants, Malte offre l’un des taux les plus élevés d’Europe. Le gouvernement avait d’abord mis en place un système de centres de détention mais il a été fortement critiqué par diverses ONG et par les autorités européennes elles-mêmes qui qualifiaient ces conditions d’«inhumaines et dégradantes»2.

L’évolution de la politique d’accueil est scrutée de près par Dr Neil Falzon, directeur d’Aditus Foundation, une ONG créée en 2011 par de jeunes juristes et avocats qui veulent promouvoir les droits humains à Malte3. «Le plus gros problème, constate-t-il, est le racisme et la discrimination. Or, les migrants ont beaucoup de difficultés à porter plainte par le biais d’ONG et, par là, d’accéder à la justice. Après une quinzaine d’années de séjour en Europe, le retour vers un pays d’origine comme la Somalie par exemple, est quasi impossible. Ces gens sont intégrés, ils ont une famille, des enfants, des collègues de travail. On devrait leur donner un statut de résident permanent ou même de citoyens du pays d’accueil. Les réfugiés ne sont pas des legos que l’on peut placer et déplacer sur le jeu de la société! Il faut un espace légal et social et éducatif pour les réfugiés qui adhèrent volontairement aux valeurs des droits de l’homme.»

 


(1) Selon le règlement Dublin III, le pays dans lequel a été formulée la demande d’asile est celui qui est chargé de son instruction et de la décision finale.

(2) Claire Rodier et Catherine Teule, «Enfermement des étrangers: l’Europe sous la menace du syndrome», dans Culture & Conflits, n° 57, dossier «L’Europe des camps», pp. 119-155, mis en ligne sur https://conflits.revues.org.

(3) «New project: judicial training on the rights of asylum-seekers and refugees», mis en ligne le 23 mai 2016, sur http://aditus.org.mt.