Geert Wilders et Marine Le Pen ont adoré la victoire de Donald Trump aux présidentielles américaines. Officiellement, les deux partis européens ne sont ni racistes, ni homophobes, ni antisémites. En réalité, tous ces mouvements sont fascinés par un nationalisme blanc violent, une forme de gouvernement peu démocratique, une interprétation unilatérale de la laïcité et un rejet extrême de l’islam et des musulmans.
Les partis politiques néerlandais sont assez similaires aux partis belges, surtout flamands. Il n’y a donc pas de surprise majeure quant à leur composition: on y retrouve à peu près tous les partis, de l’extrême gauche à l’extrême droite, aussi bien laïques que chrétiens, démocrates ou moins. Il y a deux dimensions essentielles à prendre en compte: le degré de laïcité (des partis fondamentalistes de gauche et de droite aux partis laïques assez antireligieux, de droite comme de gauche) et la position socio-économique classique entre égalité et liberté, avec les socialistes, écologistes et travaillistes à gauche et les libéraux, nationalistes et réactionnaires à droite. Quant à savoir comment définir l’extrême droite, il y a deux manières essentielles: celle de la position relative et celle de l’idéologie centrale.
Une définition à deux volets
La première est que le PVV (Partij voor de Vrijheid – Parti pour la liberté) de Geert Wilders est le parti le plus à droite de l’échiquier politique parlementaire. De ce point de vue, on peut dire qu’il est d’extrême droite. La deuxième est que l’idéologie centrale du PVV est un mélange de nationalisme et de xénophobie. Pourtant, le PVV est en compétition directe avec le VVD (Volkspartij voor Vrijheid en Democratie – Parti populaire pour la liberté et la démocratie) du Premier ministre Mark Rutte. Que Geert Wilders soit un ancien député VVD1 ne devrait pas surprendre grand monde: cela fait longtemps que le VVD est aussi un parti populiste de droite conservatrice, nationaliste et xénophobe, bien loin de ses débuts libéraux. La seule différence vraiment notable est que le VVD est un parti politique au sens classique du terme, avec un directoire, des membres et des élus assez libres, alors que le PVV est un organisme étrange avec un seul membre (Geert Wilders) et des élus interchangeables et insignifiants, parfois criminels ou peu versés en politique.
Le PVV est un organisme étrange avec un seul membre (Geert Wilders) et des élus interchangeables et insignifiants.
L’origine ethnique de Geert Wilders (indonésien, néerlandais catholique et néerlandais juif, bien que lui-même agnostique) peut paraître impromptue: les Juifs comme les «Indo’s» néerlandais ont énormément souffert du racisme. Pourtant, il faut comprendre qu’en 70 ans, l’antisémitisme néerlandais a fait place à l’antisémitisme maghrébin, qui sied parfaitement à l’anti-islamisme ambiant. Par ailleurs, les Indo’s se sont construits une identité athée/chrétienne contre les musulmans qui les ont chassés et qui sont aujourd’hui au pouvoir en Indonésie. Les Indo’s sont très présents au sein de l’extrême droite et des clubs de motards néerlandais. Enfin les catholiques ont été longtemps considérés comme des traîtres papistes et tenus à l’écart du système politique néerlandais, et ont donc aussi une forte culture anti-élitiste.
Nationalisme islamophobe au programme
Le programme du PVV peut apparaître comme bizarre: un mélange de thèmes d’extrême gauche et de la droite classique.
Pour des non-Néerlandais, le programme du PVV peut apparaître comme bizarre. Il s’agit en effet d’un mélange de thèmes d’extrême gauche (défense de l’État-providence, retrait de l’Union européenne et de l’euro, renationalisation du système de santé, démocratie directe, baisse des loyers, diminution de l’âge de la retraite) et de la droite classique (baisse des impôts, baisse des taxes automobiles, renforcement de la police et de l’armée, moins d’argent pour l’art et les médias). Le point le plus saillant – et c’est sur le papier la plus grosse différence avec le reste – est la désislamisation du pays (interdiction du Coran, fermeture des écoles musulmanes, abolition du voile dans la fonction publique, enfermement des musulmans radicalisés, etc.). La différence avec le VVD est que le PVV en fait un point essentiel de son programme alors que le VVD insiste sur le libéralisme économique et la liberté d’entreprendre.
Des mœurs très à gauche
Autre source d’étonnement pour les étrangers: les programmes des deux partis restent très à gauche par rapport à leurs homologues occidentaux dès qu’il s’agit des mœurs: il n’y a plus aucun parti aux Pays-Bas qui remette en cause les avancées féministes (avortement et égalité hommes-femmes), LGBT (accès au mariage, double pénalité pour les crimes homophobes) ou la lutte contre l’antisémitisme. Mieux: alors que le VVD a été historiquement au centre de l’émancipation des LGBT avec l’égalité matrimoniale, malgré une extrême droite traditionnellement macho et homophobe, Geert Wilders n’a jamais montré aucune hostilité envers les LGBT. On peut penser que le rôle du très gay Pim Fortuyn (assassiné en 2002) sur l’extrême droite néerlandaise a été très important. Quant aux Juifs néerlandais et l’État d’Israël, les deux partis sont non seulement contre l’antisémitisme mais s’affichent l’un comme l’autre comme des partenaires fiables d’Israël, ce qui n’est pas forcément le cas à l’extrême gauche.
Un électorat fidèle
Mais de toute façon, les programmes des partis n’ont pas vraiment une très grande importance: alors que celui du PVV tient sur une feuille A42, celui du VVD en fait cent3, et chacun sait que bien peu d’électeurs se font un avis en lisant le programme. Ce n’est en rien une spécialité du PVV et du VVD: la fidélité à un parti est en général assez forte, même en 2017. La question est plutôt de savoir si chaque parti est en état de motiver son électorat à aller voter. Par ailleurs, comme partout, les instituts de sondage ont du mal à évaluer le pourcentage réel du vote pour Wilders: il y a toujours une sous-déclaration et chaque institut a sa petite cuisine pour remonter les scores de l’extrême droite.
La tradition multiséculaire de laïcité aux Pays-Bas (surtout dans l’ouest du pays, la Randstad en particulier) conduit l’État et ses agents à afficher une neutralité bienveillante envers les religions, quitte à tolérer ce qu’on considérerait ailleurs comme des sectes. De ce point de vue, le VVD et le PVV sont pour une laïcité à deux vitesses, avec d’un côté une grande tolérance pour l’athéisme, les différentes formes de christianismes (très divers aux Pays-Bas, des chrétiens sociaux très à gauche aux protestants réformés en voie de talibanisation) et de judaïsme (quelque chose de très nouveau quand on connaît la tragique histoire des Juifs néerlandais), et de l’autre une agressivité extrême envers l’islam et les musulmans.
Le PVV, grande star des forums en ligne
Un élément qu’on retrouve ailleurs, et qui est quasiment institutionnalisé aux Pays-Bas, est la place des commentaires anonymes sur Internet. Le PVV en profite largement, même si le média institutionnel qui en vit, Pownews, reste critique envers tout le monde. Dans le monde des trolls, Pownews («parce que c’est possible» est leur devise) est le seul médium à avoir réussi à se servir du système moribond de compartimentage (verzuiling) qui continue à financer les services audiovisuels en fonction du nombre d’abonnés. Même si le troll n’est pas exclusivement d’extrême droite, il l’est principalement: cette façon de jouer de façon anonyme sur les fausses nouvelles, les émotions brutes et les complots est une méthode efficace comme on le voit bien avec le rôle de la Russie ou des sites racistes proches de Trump.
Une angoisse toute personnelle est que le PVV participe après mars 2017 à une coalition de droite classique, comme cela avait déjà eu lieu avec Mark Rutte en 2010-2012. Non seulement les Pays-Bas rejoindraient alors d’autres pays occidentaux en mal de nationalisme islamophobe, mais la droite conservatrice – le VVD comme une partie du CDA (Christen Democratisch Appèl – Appel chrétien-démocrate) – est totalement mûre pour une nouvelle collaboration. Et il suffit de remplacer «musulman» par «juif» pour comprendre à quel point le programme de Geert Wilders peut être terrifiant.
(1) Jusqu’en 2004 Geert Wilders était élu pour le VVD à la Chambre basse.
(2) «Verkiezingsprogramma» mis en ligne sur www.pvv.nl.
(3) «Zeker Nederland. VVD verkiezingsprogramma 2017-2021», mis en ligne sur https://vvd.nl.