Espace de libertés – Mars 2017

La guerre oubliée du Yémen


International
La guerre qui a éclaté au Yémen en mars 2015 se déroule dans l’indifférence du monde occidental. En deux ans, plus de 10.000 civils ont été tués, 40.000 blessés, et 20 millions de personnes ont un besoin d’urgence médicale. Mais de quoi le Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète, est-il l’enjeu?

Le Yémen est posé tout en bas de la péninsule arabique, face à Djibouti, avec lequel il enserre le détroit de Bab el-Mandeb, l’accès à la mer Rouge. Le pays contemporain naît dans les suites du démantèlement de l’Empire ottoman, avec les accords de Taëf en 1934, et la naissance de l’État indépendant du Yémen du Nord. La partie sud du pays reste un protectorat du Royaume-Uni jusqu’en 1967. Les Britanniques sont présents dans la Péninsule arabique depuis le XIXe siècle et contrôlent le port d’Aden, un port stratégique sur la route des Indes. Le Yémen du Sud devient ensuite indépendant avec un régime pro soviétique. À la chute de l’URSS, les deux Yémen engagent un processus de réunification, qui aboutit en 1990.

L’échec de la révolution

La vague des printemps arabes de 2011 atteint le Yémen. Peuplé majoritairement de sunnites, le pays est alors dirigé depuis 33 ans d’une main de fer par Ali Abdallah Saleh. Ce dictateur pro-occidental, faisait face depuis une dizaine d’années à une branche très active d’Al Qaeda et, d’autre part, à une insurrection zaydite, une branche minoritaire de l’islam chiite, active dans le nord-ouest du pays. En 2012, Ali Abdallah Saleh est poussé vers la sortie. Un nouveau président est élu démocratiquement mais très vite, la transition politique s’enlise. En 2014, les rebelles zaydites, appelés aussi houthistes, en référence au nom du fondateur du mouvement, s’emparent de la capitale, Sanaa, et ensuite de tout le pays. Les rebelles sont appuyés par leur ancien ennemi, le dictateur Saleh, qui, à plus de 70 ans, rêve de revenir au pouvoir. Le gouvernement démocratiquement élu s’exile à Riyad. On est en mars 2015, l’Arabie saoudite entre en guerre.

La guerre par procuration

Si les Saoudiens interviennent, ce n’est évidemment pas pour sauver l’embryon de démocratie issu du printemps arabe. Riyad entend combattre son grand rival, l’Iran chiite, qui soutient militairement les rebelles houthistes. Il n’est pas question de laisser s’installer à sa frontière une force qui appelle Téhéran à l’aide. L’Iran étend trop son influence au Proche Orient au goût de Riyad, en Syrie avec Bachar al-Assad, au Liban via le Hezbollah et largement en Irak. Les Saoudiens s’inquiètent aussi des conséquences économiques de l’accord américano-iranien sur le programme nucléaire iranien qui se profile et qui va permettre la levée des sanctions contre Téhéran. L’Arabie saoudite va donc prendre la tête d’une coalition militaire composée de pays arabes sunnites avec l’appui matériel des États-Unis, éternels alliés, et de la Grande-Bretagne. Des raids de bombardements intensifs se déversent sur la rébellion houthiste qui recule mais reste malgré tout maître de Sanaa, de larges régions et d’une grande partie de la côte sur la mer Rouge.

Les bénéficiaires du chaos yéménite

Aden, le port pétrolier stratégique sur la mer Rouge, est finalement repris par la coalition et est à nouveau, peu ou prou, contrôlé par le gouvernement légal. Mais il reste à la merci des attentats de l’AQPA, Al Qaeda dans la Péninsule arabique, et du groupe État islamique, autrement dit Daesh. Ces deux groupes filiaux mais rivaux profitent de la guerre et du chaos pour étendre leur influence. Selon l’International Crisis Group, la branche d’Al Qaeda est plus forte que jamais dans ce pays qui a vu naître le père d’Oussama Ben Laden. C’est aussi dans la rade d’Aden qu’Al Qaeda s’est fait connaître au monde en torpillant le destroyer lance-missiles USS Cole en octobre 2000, moins d’un an avant le 11 septembre 2001. Et c’est encore au Yémen que le nouveau président américain Donald Trump a autorisé un raid, fin janvier, contre une position de l’AQPA. Une première opération «trumpienne» qui s’est soldée par la mort d’un soldat américain et d’une trentaine de civils dans la montagne yéménite, dont plusieurs femmes et enfants. Une belle aubaine pour Al Qaeda qui ne cesse d’affirmer qu’il défend «les musulmans contre l’Occident».

Des alliances mouvantes

Le ciel de la capitale yéménite, Sanaa, après un raid de la coalition menée par la Saoudiens, le 22 janvier 2017. © Mohammed Huwais/AFPLe terreau yéménite, constitué d’effondrement de l’État, de sectarisme religieux, d’alliances changeantes et de vide sécuritaire, permet aux djihadistes de prospérer.

À l’exception des zaydites, chiites, les rebelles houthistes que la coalition menée par l’Arabie saoudite entend combattre, le Yémen est une mosaïque de tribus sunnites. Mais Al Qaeda, l’autre ennemi de Riyad et du pouvoir légal, est aussi sunnite et a pu de ce fait lier des alliances tacites avec des tribus locales, parfois même pour se procurer des armes provenant de la coalition qui les combat! Le terreau yéménite, constitué d’effondrement de l’État, de sectarisme religieux, d’alliances changeantes et de vide sécuritaire, permet aux djihadistes de prospérer malgré des revers militaires. Plusieurs négociations ont été menées en 2015 et en 2016, sans résultats. Le médiateur de l’ONU est revenu en février dernier à Sanaa pour s’entretenir avec des responsables rebelles et tenter une nouvelle perspective de pourparlers, mais le règlement politique reste très lointain.

20 millions de personnes en danger

Les Nations unies, impuissantes une fois encore, à stopper un conflit, ne peuvent qu’actionner l’alarme d’une situation apocalyptique. Les civils paient le prix fort. Les salaires des fonctionnaires ne sont plus payés dans les zones contrôlées par les rebelles houthistes suite au transfert de la Banque centrale à Aden, déclarée «capitale provisoire» par le président Abd Rabbo Mansour Hadi. Les hôpitaux ont été méthodiquement détruits par les bombardements de la coalition saoudienne. Dix mille personnes ont été tuées, dont 20 % sont des enfants. Les orphelins survivent en mendiant dans les rues. Selon l’Unicef, 2,2 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë. Près de 20 millions de Yéménites sont privés de soins médicaux décents et des cas de famine et de choléra ont été signalés. L’ONU réclame 2 milliards d’euros pour venir en aide aux Yéménites. Sans soutien international, ils risquent d’être menacés par la famine en 2017.