Espace de libertés – Mars 2017

Colon(ial)oscopie: étude incisive du colon belge au Congo


Arts
Joué au théâtre Marni le mois dernier, «Colon(ial)oscopie» pince comme une piqûre de rappel et déchire avec un sarcasme nécessaire le «glorieux» passé colonial belge au Congo. Un spectacle clownesque de Geneviève Voisin où l’humour noir fait rire jaune jusqu’à faire rougir de honte.

Fabiola de Potter Dardois, fille, petite-fille et arrière-petite-fille de colons, entre sur scène. Le personnage caricatural à l’accent belge forcé et clownesque se présente au public. Fervente admiratrice de l’époque coloniale belge au Congo, elle est en charge de la première partie de la conférence organisée par l’Amicale des anciens d’Afrique, en présence de Son Excellence l’Ambassadeur de Belgique à Kinshasa. Paola, fille de Fabiola de Potter Dardois, personnage naïf, crédule et soumis à sa mère, accompagne cette dernière pour assurer un répertoire de chants «exotiques et coloniaux». Le spectacle évolue, soumis à l’influence du vin de palme qui coule sans modération dans le verre de Fabiola de Potter Dardois, et au gré de la relation entre la mère et sa fille. «Le rapport “mère/fille” était une mine d’or pour illustrer le rapport “dominant/dominé” et les rapports “Nord/Sud” actuels. Il fallait absolument mettre cela en avant et d’un point de vue clownesque, c’était fabuleux à mettre en scène», explique Geneviève Voisin, auteure, interprète, comédienne et metteur en scène de la compagnie Ah Mon Amour.

«Dominer pour servir»

Fabiola de Potter Dardois rend compte de l’»œuvre civilisatrice coloniale» avec un savant mélange d’acidité et de nostalgie. Elle rappelle que la richesse belge est fondée sur cette période «glorieuse» d’un Congo belge «construit de toutes pièces». Les anecdotes et les souvenirs s’enchaînent, rythmés par une note idéaliste ancrée et légitimée. Le personnage interpelle Lara dans le public qui «semble outrée» par l’éloge fait aux colons et devient l’outil pour tantôt dédramatiser les abus des colons, tantôt servir de prétexte pour une parenthèse pédagogique. «Je me posais des questions sur ce vide, ce silence de la période coloniale belge. C’était comme un sujet tabou et ambigu. On n’aime pas trop le critiquer et on n’en parle pas non plus, ni en société, ni dans les programmes scolaires», constate Geneviève Voisin.

Conscientiser les Occidentaux que nous sommes

Que ce soit par la richesse culturelle de notre patrimoine ou par notre «petite contribution à la bombe H, en 1945, grâce à l’uranium extrait des sols belgo-congolais», l’histoire du Congo est intimement liée à celle de la Belgique, tant dans sa grandeur que dans sa défaillance. C’est inscrit dans la conscience (ou le subconscient?) des Belges. «Un Occidental qui s’exprime à propos d’un Africain peut avoir un ton amer et raciste, malgré lui. Il y a comme un sentiment de supériorité inconscient mais bien présent quand on est Occidental. Ce spectacle me permet de comprendre et d’expliquer l’origine de ces comportements discriminants malgré nous», explique encore Geneviève Voisin.

Elle ajoute: «Il faut savoir que les propos et la manière de penser du personnage de Fabiola de Potter Dardois à propos de la période colonialiste est tout à fait authentique. Il n’y a aucune caricature dans ce qu’on transmet avec Colon(ial)oscopie. Tout ce qui est rapporté est vrai.»

Indépendance manipulée jusqu’à nos jours

Au bout du xe verre de vin de Palme, Fabiola de Potter Dardois, perd son sang-froid et sa mauvaise foi n’en est qu’agrandie. Elle abuse et maltraite par «la pédagogie active» sa fille, qui se rebelle finalement jusqu’à lui demander l’impossible: la robe rouge, symbole d’indépendance et d’émancipation. Paola l’obtient par un chantage affectif. Elle se change, enlève ses habits de «boy nègre» et revient sur scène telle une jeune fille prête à s’émanciper et jouir de sa liberté.

Devant ce merveilleux spectacle, la Belgique se contentera de vendre sa fille à Son Insuffisance l’Ambassadeur et continuer de jouir des bienfaits de cet enfant façonné par ses intérêts