De la race à la religion en passant par la culture, si le discours de l’extrême droite a évolué, son ennemi n’a pas beaucoup changé.
L’extrême droite est une véritable idéologie, elle a son histoire, sa littérature, ses valeurs et ses fondements. Et lorsqu’elle concentre sa doctrine sur le «peuple pur», menacé par une «élite corrompue», elle emprunte, comme d’autres avant elle, au registre populiste. En revanche, le populisme n’est pas une idéologie, il se greffe sur des idéologies. Il n’a ni héros, ni doctrine, ni théoricien, c’est une rhétorique qui oppose le peuple aux élites et se glisse facilement dans des discours bien plus charpentés, de droite comme de gauche. Le populisme est une vision binaire – simpliste – de la société qui réduit le combat politique et social à seulement deux ennemis.
Le darwinisme social, «preuve» de l’inégalité
L’extrême droite, par contre, part du principe – héritage du fascisme – que les inégalités sont une réalité naturelle, normale voire indispensable, et donc qu’il ne faut surtout pas modifier l’ordre des choses, un ordre hiérarchique où règne la loi du plus fort (darwinisme social). Partant, l’extrême droite adopte une attitude d’hostilité vis-à-vis de certains groupes et de certaines minorités. Ceux-ci sont considérés comme menaçants (parce qu’inférieurs) voire dangereux pour l’intégrité du groupe d’accueil (menace du métissage), soit au niveau de la nation et/ou de l’identité, soit sur le plan culturel, soit sur le plan religieux, même si dans ce dernier cas, nous le verrons plus bas, la religion est mobilisée comme un trait culturel de premier plan.
Méfiance et rejet
L’extrême droite se caractérise par une méfiance forte vis-à-vis d’individus considérés comme culturellement et ethniquement différents et donc inassimilables, notamment en raison de leur détermination par le groupe1. Cette méfiance implique un rejet plus ou moins violent selon les contextes nationaux et les partis concernés, celui-ci pouvant aller de la simple interpellation au Parlement pour dénoncer «l’immigration incontrôlée» au soutien explicite apporté à des milices néonazies chargées de «rétablir l’ordre» dans des quartiers à forte population d’origine immigrée.
Races «inférieures» et cultures «incompatibles»
Dans la pensée d’extrême droite, le poids du groupe sur les individus qui le composent est un déterminisme. Il varie d’un discours à l’autre et dans une perspective historique, à l’échelle de l’Europe géographique, on repère des invariants et des similitudes qui permettent de comparer des situations pourtant particulières.
Au début des années quatre-vingt, la force du combat antifasciste et la législation antiraciste naissante incitent de nombreux partis d’extrême droite à la prudence quant à l’usage assumé de discours faisant explicitement référence à l’existence des races et à une hiérarchie entre ces dernières. À l’époque, indiquer qu’un migrant ne veut pas et ne peut pas s’intégrer car son appartenance «raciale» et son origine l’en empêchent ne va pas sans rappeler les discours des années trente et, parfois, le virulent antisémitisme d’État de l’époque. En conséquence, aux discours, aux slogans et aux caricatures racistes qui réapparaissent durant les Trente Glorieuses2 va se substituer progressivement un discours sur les cultures en apparence anodin mais pourtant lourd d’un sens très particulier: la culture est mobilisée comme une construction sociale dont la richesse et la pureté en font une «seconde nature»3, c’est-à-dire une sorte de prolongement quasi physique de l’individu sur lequel il a finalement peu de prise. On constate toujours ici le poids du groupe sur la détermination de l’individu, mais il est cependant conditionné par une culture toute-puissante et non plus par son origine nationale ou raciale.
L’islam, une obsession
À partir des années 2000, et plus particulièrement après les attentats du 11 septembre 2001, le poids du groupe qui détermine les individus et exclut toute forme de liberté (de penser, d’être ou d’action) revient mais cette fois-ci à travers la religion, et singulièrement l’islam. À bien des égards, les arguments passent de la critique de certaines «races» inférieures voire de certaines cultures «incompatibles», à la critique des religions, et par extension de leurs adeptes. La religion musulmane est alors considérée comme un fait culturel «totalitaire» qui interdit au pratiquant de s’adapter aux valeurs et aux principes des démocraties occidentales.
L’extrême droite constate l’inégalité entre les individus, les groupes, les races, les cultures et les religions et postule que c’est une réalité naturelle, donc bonne et utile… Elle considère que l’individu est déterminé par le groupe, et qu’il n’a pas ou peu de libre arbitre, ce qui justifie la loi du plus fort et la hiérarchie qui en découle. De la race à la religion en passant par la culture, si le discours de l’extrême droite a évolué, son ennemi n’a pas beaucoup changé.
(1) Le postulat selon lequel les individus peuvent avoir des parcours personnels et indépendants du groupe est unanimement rejeté à l’extrême droite.
(2) Période de prospérité qui a caractérisé l’Europe occidentale, le Japon et l’Amérique du Nord de 1945 à 1975 environ.
(3) Voire le chapitre «Les métamorphoses idéologiques du racisme et la crise de l’antiracisme» dans Pierre-André Taguieff (ed.), Face au racisme, tome 2, Paris, La Découverte, 1991, p.13 et sv.