Espace de libertés – Janvier 2016

Le pacifisme: une histoire belge


Arts
Parce que ce ne sont pas seulement les guerres qui font l’histoire, l’exposition «Et si on osait la paix?» explore les enjeux des mouvements pacifistes en Belgique d’hier à aujourd’hui.

«C’est la guerre», titraient les journaux au lendemain des attentats de Paris du 13 novembre. Une guerre, s’empressait-on de préciser, qui ne ressemble à aucune autre, qu’il faudra mener différemment, mais qu’il faudra mener quand même. Pourtant, à l’heure où le discours politique prenait un tour martial, c’est le dessin de Jean Jullien –une tour Eiffel inscrite dans le symbole «Peace and love»– qui a fait le tour du monde via les réseaux sociaux. Un Peace for Paris comme un contrepoint à un conflit présenté comme désormais inéluctable.

Au-delà des commémorations patriotes

Le hasard a voulu que l’exposition «Et si on osait la paix? Le pacifisme en Belgique d’hier à aujourd’hui» soit inaugurée à la Cité Miroir une semaine après ces tragiques événements. Organisée conjointement par l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale (Ihoes) et le Mundaneum, elle propose un temps d’arrêt opportun en ces temps de confusion. «Nous avons conçu cette exposition comme une réponse aux commémorations de la bataille de Waterloo et de la Première Guerre mondiale», explique Ludo Bettens, directeur de l’Ihoes. Teintées de patriotisme, ces célébrations laissent souvent peu de place à d’autres héroïsmes, étrangement exclus du sacro-saint devoir de mémoire. «On oublie souvent que la Belgique compte quatre prix Nobel de la paix», rappelle Ludo Bettens.

La paix, les pacifismes

Structurée en trois volets à explorer grâce une signalisation par couleur, l’exposition embrasse les différentes facettes du pacifisme, depuis le rejet radical de toute violence jusqu’à l’acceptation de certaines guerres «justes», en passant par l’antimilitarisme. «Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous avons l’habitude de dire que nous ne sommes plus en guerre, mais c’est oublier que, comme d’autres pays occidentaux, la Belgique a participé et participe encore à de nombreuses opérations militaires, que ce soit en Afghanistan, en Irak ou en Libye», explique le directeur de l’Ihoes. La ligne du temps qui longe l’ancien bassin de natation réhabilité par la Cité Miroir dresse, en complément, un panorama détaillé de cet incessant ballet des guerres et des manifestations pacifistes au cours du XXe siècle.

Riche en documents d’archives (affiches, photographies, vidéos…), l’exposition est aussi l’occasion d’une plongée dans l’esthétique et la rhétorique de la propagande pacifiste, empreinte de l’air du temps et des mouvements artistiques, depuis l’Art nouveau jusqu’au Pop Art. Consacré aux tentatives de construire activement la paix à travers des projets politiques, sociaux et juridiques, le premier volet baptisé «Bâtir la paix», révèle la diversité des pacifismes, tantôt proches du catholicisme, tantôt du socialisme, et souvent des associations de femmes. «On considère alors que les femmes, qui donnent la vie, sont plus sensibles à cette cause», commente Ludo Bettens. Elles sont aussi, de par leur rôle traditionnel dans l’éducation des enfants, considérées comme garantes de la paix à long terme. Une affiche publiée par un comité socialiste gantois enjoint ainsi les mères à ne pas offrir de jouets guerriers pour la Saint-Nicolas autour du slogan «Petites causes, grandes conséquences».

L’amour, pas la guerre

La deuxième partie, «Dénoncer la guerre», explore quant à elle l’antimilitarisme et l’effroi suscité par l’arrivée des nouvelles armes chimiques et atomiques. Une vidéo d’archives témoigne de l’ampleur de la mobilisation populaire du 23 octobre 1983, avec quelque 400 000 personnes réunies lors de la marche antimissile à Bruxelles. Sont également évoquées les «inspections citoyennes» menées sur la base limbourgeoise de Kleine Brogel pour démontrer la présence de bombes américaines sur notre sol, preuve supplémentaire que la guerre n’a jamais cessé d’être une affaire belge. Enfin, le dernier volet de l’exposition, «Agir par la non-violence», illustre la dimension individuelle de l’engagement pacifiste, autour de la notion d’»objection de conscience». On s’y rappelle le mouvement hippie et son vœu pieux de faire l’amour, pas la guerre. Et dans ce «Peace and love» peint sur la cape d’un jeune activiste en 1969, le visiteur d’aujourd’hui ne pourra s’empêcher –c’est à parier– de voir… la tour Eiffel. Un anachronisme comme un indice que le pacifisme n’a pas encore déserté l’histoire.