Espace de libertés – Janvier 2016

Quelle place pour les droits de la femme dans les pays arabes?


Dossier
Objets d’une chasse gardée autour du maintien de la suprématie de l’homme, les droits des femmes, dans cette région du monde, sont le théâtre quotidien de luttes idéologiques interminables, parfois violentes, qui constituent des enjeux politique et identitaire majeurs. Autant dire que les militantes musulmanes de Belgique, prises entre un «féminisme musulman» et un «féminisme islamique», ont plutôt intérêt à se rallier.

En 2013, la Fondation Thomas Reuters publiait son « classement sur les droits de la femme dans les 22 pays arabes » (1) pointant du doigt l’Arabie saoudite (2), l’Irak et l’Égypte (3). Force est de constater que le droit des femmes dans le monde arabe est, malheureusement, encore l’affaire d’hommes qui gouvernent et légifèrent en instrumentalisant la religion à des fins politiques et de conservation de leurs privilèges. En ce sens, les réserves à la Convention internationale relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw) en sont un exemple éloquent.

Le mot «féminisme» lui-même est problématique car considéré comme un marqueur d’une création occidentale.

Des «consommatrices assidues» de discriminations en tout genre

Selon la Fondation Thomas Reuters, «les conditions de la femme se sont largement détériorées en Égypte, au Yémen et en Syrie, depuis le début des révoltes arabes», et ce, alors même que les femmes ont été au premier plan des soulèvements populaires. Malgré l’existence d’un arsenal juridique conséquent, la condition des femmes reste précaire et varie d’un pays à l’autre. Globalement, les discriminations à l’égard des femmes, fondées sur les traditions ou les us et coutumes, persistent et se reflètent dans la loi, les pratiques sociales et les réserves formulées par les États à l’encontre des conventions internationales comme la Cedaw (4).

Dans le monde arabe, les femmes sont des «consommatrices assidues» de discriminations en tout genre. Pourtant, de nombreuses constitutions, telles que celles de la Mauritanie, de l’Algérie et du Soudan, reconnaissent le principe de la non-discrimination. D’autres pays, comme la «Tunisie, le Maroc et l’Égypte se bornent à ne reconnaître que le principe de l’égalité en général, laissant libre cours à toutes interprétations quant à l’étendue de ce principe». Les recherches de Hafidha Chekir montrent que « l’égalité entre les sexes se limite à l’égalité devant la loi et non dans la loi; la plupart des constitutions ne s’appuient pas sur les principes universels dont découlent l’égalité et la dignité humaine et considèrent la charia musulmane comme la source essentielle du droit. Cas, notamment, du Soudan, de la Libye, du Maroc et de la Mauritanie » (5). Notons que l’Égypte a été moins catégorique puisque «les principes de la charia musulmane sont les sources essentielles de la législation» et non donc les seuls. Ces mêmes principes se retrouvent dans l’article 19 de la Constitution marocaine qui énonce que le roi Mohammed VI veille au respect de l’islam et l’article 400 du nouveau Code de la famille prévoit que, pour tout ce qui n’est pas prévu dans la loi, c’est le «rite malékite et/ou l’ijtihad» qui s’applique. En Algérie, l’article 222 du Code de la famille n’exclut pas le recours à la charia s’il y a absence d’une disposition nécessaire au traitement du dit cas. Autant dire que dans ces pays, la religion gouverne l’État puisque, d’une manière ou d’une autre, elle revient au galop pour se hisser au premier rang des sources du droit.

féminisme islam

Des inégalités cristallisées dans les codes de la famille

Comme l’explique Cassandra Balchin, les discriminations sont assez répandues dans le domaine de la famille, et sont favorisées, dans certains pays, par l’absence d’un code de la famille, comme en Arabie saoudite. « Dans de nombreux pays, des législations régissent la famille et reposent sur le droit musulman et ses interprétations dominantes. » (6) En d’autres termes, la famille «contemporaine» est le petit de la famille traditionnelle, faisant la part belle au modèle patriarcal et aux privilèges de la masculinité. D’après Wassila Ltaief, même s’il est vrai aussi que plusieurs codes de la famille ont été réformés, vers un mieux, en Tunisie, au Maroc et en Algérie, le principe d’égalité est loin de triompher; les inégalités entre les sexes ont encore de beaux jours devant elles, à l’instar des droits successoraux. À la lumière des points évoqués, le religieux et le juridique s’entremêlent et «confèrent une empreinte de sacralité et de religiosité aux discriminations».

Le religieux et le juridique s’entremêlent et «confèrent une empreinte de sacralité et de religiosité aux discriminations».

Dans cette situation, on comprend aisément la lutte de longue date des associations pour la levée de toutes les réserves de la Cedaw. La ratification de la Cedaw par la majorité des 19 pays musulmans, ne s’est pas réellement traduite par une réforme en profondeur des dispositions légales discriminatoires, ni même par le vote de lois égalitaires. Par contre, elle s’est accompagnée de l’adoption d’un certain nombre de réserves qui limitent le droit des femmes dans la sphère familiale et sociétale. À cela correspondent des politiques ambivalentes qui oscillent entre, d’un côté, la promotion de l’émancipation des femmes et de leurs droits et, de l’autre, la perpétuation du schéma patriarcal traditionnel qui se fonde sur des normes religieuses. Différents rapports associatifs estiment que «la majorité de ces réserves concerne, notamment, le statut des femmes dans la famille, leur capacité civile, leur droit à gérer les biens qui leur sont transmis par voie successorale, leur droit de donner leur nationalité à leurs enfants». D’après Hafidha Chékir, ces réserves sont problématiques d’abord parce qu’elles ne respectent pas les dispositions conventionnelles, ensuite parce qu’elles portent atteinte aux droits des femmes.

Féminisme, «féminisme musulman» ou «féminisme islamique»?

En Belgique, entre «féminisme musulman» et «féminisme islamique», les militantes musulmanes se tâtent. D’après Leïla El Bachiri, le premier «utilise la religion pour promouvoir l’égalité» alors que le second « utilise l’égalité pour promouvoir l’islam » (7). Les associations belges telles que Femmes musulmanes de Belgique, Femmes musulmanes d’Europe, Kaouthar, Médiane et la commission «Femmes» de l’association Astrolabe refusent le qualificatif de «féministe» – surtout la première – et ne s’identifient pas clairement ni au féminisme musulman ni au féminisme islamique. À noter aussi que le mot «féminisme» lui-même est problématique car considéré comme un marqueur d’une création occidentale.

L’enjeu pour les féministes musulmanes belges est de ne pas se laisser noyer dans des querelles sémantiques et de se rassembler autour de la lutte pour l’égalité des droits. Si le terme de «féminisme» ne convient pas, qu’il en soit ainsi, mais que cela n’empêche pas un travail commun de réflexion, de relecture et de réadaptation des textes sacrés au contexte moderne. N’oublions pas qu’une fois ce travail effectué, les militantes musulmanes auront à convaincre leurs homologues masculins d’accepter cette nouvelle interprétation des textes sacrés; ce qui est en soi une révolution pour le droit des femmes et pour les mentalités. Enfin, il faut aussi avouer que, comme dans de nombreux mouvements, le féminisme, en son sein, connaît des dissensions et des concurrences qui ont des effets sur sa force de résistance, de proposition, de mobilisation et d’action.

 


(1) «POLL: Women’s rights in the Arab world», mis en ligne le 12 novembre 2013, sur www.trust.org.

(2) Au royaume chérifien, les élections municipales du 12 décembre 2015 ont été, pour la première fois, ouvertes aux femmes en tant qu’électrices et candidates, alors qu’il leur est encore interdit de conduire.

(3) Par ordre croissant, on note: les Comores, le Sultanat d’Oman, le Koweït, la Jordanie, le Qatar, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, la Lybie, les Émirats arabes unis, la Mauritanie, le Bahreïn, Djibouti, la Somalie, les Territoires palestiniens, le Liban, le Soudan, le Yémen, la Syrie, l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Égypte.

(4) La Cedaw a été adoptée en 1979 par l’ONU, et ratifiée par 186 États dans le monde.

(5) Hafidha Chekir, «Le combat pour les droits des femmes dans le monde arabe», Fondation Maison des sciences de l’homme, Working Papers Series, n°70, juin 2014.

(6) Cassandra Balkin, «Le droit de la famille dans les contextes musulmans contemporains. Déclencheurs et stratégies du changement», mis en ligne sur http://classiques.uqac.ca.

(7) Jean Vogel, entretien avec Leïla El Bachiri, «Les féministes musulmanes utilisent la religion pour promouvoir l’égalité, les féministes islamiques utilisent l’égalité pour promouvoir l’islam», dans Articulations, n°44, mars-mai 2011, pp. 13-14.