Espace de libertés – Janvier 2016

Les non-croyants à l’épreuve de la persécution


International
Présentée au Parlement européen le 10 décembre à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme, l’édition 2015 du Rapport sur la liberté de pensée fait état d’une escalade de la persécution des non-croyants à travers le monde.

On note une recrudescence de la violence sauvage; quant aux jugements de justice, ils sont de plus en plus sévères pour des «crimes» comme le blasphème ou l’apostasie. Le Rapport 2015 sur la liberté de pensée, produit par l’IHEU, fait état de persécutions et de discriminations à l’égard des humanistes, des athées et des non-croyants, avec les détails pays par pays. Cette étude interpelle notamment par la série d’assassinats perpétrés au Bangladesh: quatre blogueurs et un éditeur laïques ont été massacrés à coups de machettes. Les victimes s’appelaient Avijit Roy, Washqiur Rahman Babu, Ananta Bijoy Das, Niloy Chatterjee et, plus récemment, l’éditeur Faisal Arefin Dipon (1).

Notre inquiétude actuelle réside dans la radicalisation jihadiste qui place très haut la barre de la brutalité.

Les «infidèles» terrassés

L’assassinat de l’éditeur Avijit Roy au Bangladesh. Le prix de l’athéisme... © Whatson.uk.comBien que l’annonce de ces meurtres ait été largement répercutée dans les médias internationaux, de même que la peine infligée au séculariste saoudien Raif Badawi qui fut fouetté à 50 reprises plus tôt dans l’année pour « insulte à la religion » (2), le rapport fait état de cas nettement moins médiatisés, comme celui de l’étudiant égyptien Sherif Gaber. En février dernier, Gaber fut condamné à un an de travaux forcés pour «mépris de la religion» (il avait annoncé son athéisme sur Facebook) et pour «incitation à la débauche» (il avait défié un conférencier qui disait que les homosexuels devraient être «tués en pleine rue»). Dès la sentence prononcée, Gaber s’est fondu dans la nature. Un autre étudiant égyptien, Karim al-Banna, a été arrêté dans un café athée en novembre dernier avant d’être condamné à trois ans de prison pour «insulte à la religion».

Trois rationalistes indiens réputés ont été assassinés au cours des dernières années, et deux en 2015 après avoir critiqué la superstition religieuse et les politiques de droite. Au cours des douze derniers mois, au moins deux condamnations à mort ont été prononcées pour apostasie: celles d’Ashraf Fayadh en Arabie saoudite et de Mohammed Cheikh Ould Mkheitr en Mauritanie. Et l’on ne parle même pas des «blasphémateurs» et des «apostats» assassinés par Daech.

Au «paradis» des Maldives, les administrateurs de pages Facebook à tendance athée ont été désignés à la vindicte publique, kidnappés par une bande de 40 hommes, forcés à «renier» leur athéisme et à communiquer les mots de passe de leurs comptes. Les activistes anti-athées sur Facebook aux Maldives ont contraint de nombreux laïques à fermer leurs comptes en 2015.

Islamisme radical et haine des mécréants

«L’an dernier, nous avons enregistré une hausse spectaculaire des discours de haine», a déclaré le président de l’IHEU Andrew Copson. «Les présidents de plusieurs pays ont proclamé que l’humanisme et le libéralisme constituaient une menace pour leurs États, édictant des lois en vertu desquelles l’athéisme est assimilé au terrorisme, et ainsi de suite. Cette année, la rhétorique anti-athée s’est propagée via de sournoises manœuvres de persécution, poursuit Andrew Copson. Notre inquiétude actuelle réside dans la radicalisation jihadiste qui place très haut la barre de la brutalité; cela crée un appel d’air qui renforce la haine venimeuse à l’égard des non-religieux dans un nombre croissant de pays, essentiellement musulmans. C’est comme s’il y avait une nécessité factice de créer une menace imaginaire d’une gravité égale à celle que fait peser le camp des croyants, comme s’il fallait constituer un équilibre de la terreur justifiant les actes de Daech et consorts. Cette stratégie est parfois mise en œuvre ouvertement, comme dans le cas de la “guerre à l’athéisme” menée en Égypte par exemple. Cette réaction complètement hors de propos à l’encontre de la communauté non religieuse dégénère en une violence qui va grandissant de la part d’acteurs non gouvernementaux voire, plus grave encore, des sentences à l’évidence iniques prononcées par les autorités étatiques.»

Du droit de ne pas croire

En prélude au lancement du rapport, le 10 décembre à Bruxelles, l’eurodéputé Dennis de Jong déclarait: «Au nom de l’intergroupe du Parlement européen sur la liberté religieuse ou convictionnelle, je félicite l’IHEU pour le remarquable travail qu’elle a livré en réunissant cette documentation sur la persécution des non-croyants. Pour tout qui se réclame d’une croyance, religieuse ou non, cette option détermine sa façon d’envisager la vie. La liberté de changer de religion ou de croyance a été reconnue comme un droit humain absolu. Il est dès lors inacceptable que cette liberté soit attaquée en permanence. Nous avons le devoir, vis-à-vis de l’ensemble des victimes de cette persécution, de faire en sorte que la souffrance des non-religieux soit prise en compte comme une priorité par l’Union européenne et ses États membres.»

Le rapport accueille avec satisfaction l’abolition, cette année, des lois pénalisant le blasphème en Norvège et en Islande. Toutefois, le message qui domine est celui des voix sécularistes menacées toujours davantage aux quatre coins du monde. Le rapport conclut: «Que l’on soit ou non en accord avec la vision humaniste du monde, les voix humanistes restent parmi les plus claires, les plus courageuses, les plus innovantes de la sphère sociopolitique, de même que celles des athées, des non-religieux ou des croyants non adhérents. À ce titre, ces voix apportent souvent une contribution profondément influente dans tous les débats que peut connaître une société réellement ouverte. Le monde doit reconnaître que s’exprimer et s’identifier comme non religieux est un droit humain fondamental, et que le fait qu’un nombre croissant de citoyens demandent la reconnaissance de ce droit n’est pas le signal d’un déclin moral mais l’apanage d’une société libre et saine.»

 


(1) À lire dans nos colonnes en février: un article de Julie Pernet (cellule «Europe et International» du CAL) sur la montée de l’islamisme radical au Bangladesh.

(2) Cf. «Jean Bernard, «Arabie Saoudite, le royaume de l’obscurantisme», dans Espace de Libertés, n°441, septembre 2015, pp. 25-27.