J’adore ce message qui circule sur les réseaux sociaux: on y lit que les immigrés seront bientôt renvoyés chez eux et un Amérindien s’étonne: «Ah bon, et vous partez quand?». On est tous le métèque de quelqu’un, tous des autochtones venus d’ailleurs. D’ailleurs, durant des millions d’années, notre race Homo migra d’un continent à l’autre. Paléolithiques, nous étions tous nomades et l’horizon était une frontière à franchir. Lorsque, devenus Sapiens, nous avons inventé l’agriculture, ne pouvant emporter notre champ dans nos bagages, nous troquâmes notre tente contre une maisonnette confortable et nous nous sédentarisâmes. Cela se passait hier, il y a seulement dix mille ans: 99% de la (Pré)histoire de l’humanité est celle d’un peuple migrateur. Le nomadisme préhistorique reste gravé dans notre inconscient collectif et dans nos gènes, notre goût pour le voyage trahit la nostalgie pour cette époque encore toute proche où nous circulions sur notre planète pour y trouver notre subsistance. Voilà pourquoi nous nous sentons libres et heureux lorsque nous embarquons pour une destination exotique et allons voir ce qu’il y a de l’autre côté des monts et des vaux. Nous avons conservé l’âme d’un homme préhistorique.
Et pourtant, nous n’accueillons pas le migrant, car nous avons conservé un autre réflexe de la Préhistoire, moins sympathique celui-là: nous nous méfions de l’étranger qui pénètre sur notre territoire. Par atavisme, l’homme est un animal xénophobe pour qui l’Autre constitue un danger potentiel. Il éprouve donc le besoin de marquer son territoire et d’en interdire l’accès aux inconnus. Les inventeurs des clôtures et frontières n’ont pas lu Rousseau: «Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne.»
L’homme cultive l’instinct animal et le grégarisme primitif, on le sait. Plus inquiétant, monsieur tout le monde, après avoir pris une précaution oratoire du genre «Je ne suis pas raciste, mais…», déverse au café du commerce ou sur les réseaux sociaux un flot nauséabond de stéréotypes: «Les migrants mettent en péril nos valeurs chrétiennes», «À ce rythme, l’Europe de demain sera soumise à la charia», etc. La planète est devenue un village, mais sur la toile, le sédentaire surfe volontiers –bel oxymore– dans les eaux troubles du repli identitaire. C’est désolant. On en viendrait à regretter le Paléolithique.