«Elle(s)» se donne à voir et à lire. La pièce résolument féministe écrite et mise en scène par Sylvie Landuyt tourne depuis mai 2014 sur les planches bruxelloises et wallonnes et nous a donné l’envie furieuse de nous plonger dans la lecture du texte récemment édité.
Elle est petite fille (en colère), elle est mère (en quête de liberté), elle est épouse (oubliée parmi les meubles). Elle est femme de ménage, actrice porno, femme d’affaires, Femen aussi. Elle porte les voix des femmes «tristes, divines, pures, amoureuses, pauvres, chastes, délaissées, angéliques, innocentes, malheureuses, âme vierge, rose candide étouffée par la douleur, craintives, geignantes, écœurées, pudiques, résignées, indifférentes, uniques, inaccessibles, superstitieuses… assujetties, brûlées, rasées, dominées, vengées, émancipées» avant de devenir «pornographique, bonne, pulpeuse, légère, jouet, consommée, mangée, reniflée, modelée» puis définitivement «guerrière, sauvage, indépendante, forte, masculine, vive, conquérante, sorcière, ordurière, vicieuse, puissante, travailleuse, autonome, tenace, résistante, militante. Brune poilue, rousse poilue, blonde poilue, pourquoi pas? Laide, moche, petite, grande, elle s’en tape!» Elle est une femme nouvelle: toujours la même, toujours une autre.
«Coincée dans son costume de femme»
Elle(s) –la pièce et le superbe texte dont elle est tirée– est plurielle et singulière, à l’image de cette femme, de ces femmes qui sortent du carcan de préjugés et de stéréotypes dans lequel la société les a ligotées et qui se cherchent. Elle(s) nous invite à explorer l’univers fantasque d’une jeune femme douée de polymorphie. Un point commun qu’Elle(s) –fruit de l’imagination– partage avec celle qui lui a donné la vie en la couchant sur le papier et en incarnant la mère sur scène. Femme de théâtre à trois têtes (au moins) puisqu’elle joue, met en scène et écrit tout à la fois, Sylvie Landuyt fait chanter les mots, avec rythme et en musique, et se revendique d’être avant tout comédienne: «C’est parce que je suis comédienne que j’écris comme ça, parce que je suis comédienne que je mets en scène de cette façon, parce que je suis comédienne que j’ai envie de dire des choses.»
Après avoir joué la comédie à temps plein, Sylvie Landuyt a fondé sa propre compagnie de théâtre en 1999, La Bad Ass Cie «qui aime prendre en charge la parole de populations en marge». En 2004, elle se met à écrire et crée Lou, une adaptation du Petit Chaperon rouge. Suivront les mises en scène du spectacle Le Sas de Michel Azama, Fable citadine de Luc Malghem (1), Split Screen (une création collective réunissant des jeunes étudiants et des déficients mentaux) et Godelieve and Clique.
Don Juan, révélateur du deuxième sexe
Dans la quiétude d’une résidence d’auteurs à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, elle s’est attaquée au mythe de Don Juan, ce grand amateur de femmes, en plaçant la gent féminine, ses pulsions et ses désirs au cœur de sa dramaturgie. Don Juan Addiction, le premier volet «traverse Molière, Tirso de Molina ou Mozart, en filigrane, pour déconstruire les relations amoureuses.» Dans Elle(s), le deuxième volet, «après la révolte, la femme creuse les chemins qui s’ouvrent à elle. Une fois libérée des clichés, elle devient celle qui parle, celle qui crée, celle qui cherche la vérité.» En découle un spectacle percutant mêlant théâtre, danse, musique rock et performance.
Meilleur espoir féminin en 2000, meilleure création artistique pour Don Juan Addiction/Elle(s) et meilleure auteure pour Elle(s) en 2014, les Prix de la critique ont salué le talent de Sylvie Landuyt –ainsi que celui de la comédienne Jessica Fahan qui dialogue avec elle… dans Elles(s)– à plusieurs reprises: «À une époque où le féminisme est presque devenu un gros mot, se négociant à coup de nudité agressive et de slogans réducteurs, Sylvie Landuyt chausse avec superbe ses talons hauts pour prendre de la hauteur sur l’image de la femme et en traverser toutes les ambiguïtés, les impasses et les délices.»
(1) Qui écrivait dans nos colonnes pas plus tard que le mois dernier.