Espace de libertés | Mai 2018

Pacte d’excellence: officiellement vôtre


Libres ensemble

Parmi ses ambitieuses mesures, le Pacte d’excellence prévoit de doter le réseau officiel d’un pouvoir organisateur dissocié. Nécessaire autonomie ou début de la fin?


Trois cent soixante-cinq établissements scolaires, 150 institutions apparentées (internats, centres PMS, etc.), 211 000 élèves ou étudiants de la maternelle à l’enseignement supérieur, 30 000 emplois et 3 200 000 m2de bâtiments scolaires:Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) est sans conteste le plus important pouvoir organisateur en Belgique francophone, aux côtés des deux autres réseaux:l’officiel subventionné (communal et provincial) et le libre subventionné. Mais ce réseau officiel, pointé par le rapport externe réalisé par McKinsey (1) en 2015 pour ses moins bons résultats dans le primaire que le réseau libre, se révèle être aujourd’hui l’une des pierres d’achoppement du Pacte d’excellence.

Bien sûr, on aurait aimé faire fi de cette vieille guerre très belge entre les réseaux et voir les efforts se concentrer sur l’amélioration globale de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), considéré comme largement en deçà de la moyenne de l’OCDE, tant en termes de qualité et d’équité, que de dépenses publiques… Hélas, l’effet boomerang semble se confirmer autour des tensions au sein de la majorité PS/cdH. «Dès le départ, la question des réseaux a été soigneusement tenue à l’écart des débats au nom du pragmatisme», explique le Pr Marc Demeuse, directeur de l’Institut d’administration scolaire, à l’Université de Mons et pilote du groupe de travail «état des lieux», lors de la première phase du pacte.

Le modèle Publifin

À côté du tronc commun jusque 15 ans, de l’accompagnement personnalisé ou encore de la nouvelle grille horaire, le Pacte d’excellence prévoit aujourd’hui que chaque école réalise son propre plan de pilotage (reprenant le projet d’établissement, ses objectifs, ses stratégies…), lequel fera l’objet d’une contractualisation avec la FWB. Chaque établissement s’inscrirait ainsi dans une logique de responsabilité par l’intermédiaire de ce contrat d’objectifs qui respecterait son autonomie, tout en l’amenant à rendre des comptes. Problème:pour le réseau organisé par la FWB, ce processus reviendrait à «contractualiser avec lui-même»puisque la FWB est à la fois pouvoir organisateur et régulateur. La ministre de l’Enseignement Marie-Martine Schyns (cdH) a donc proposé la mise sur pied d’une entité dissociée, qui assurerait le rôle de pouvoir organisateur, avec un conseil d’administration et des gestionnaires.

Défendue par le Pr Alain Eraly (ULB), qui a présidé le groupe de travail sur la bonne gouvernance, cette notion même de «contractualisation»ne va pourtant pas de soi. «Dans cette perspective, contractualiser revient à rendre l’enseignement public égal à d’autres types d’enseignements et à l’aligner sur le statut du privé, avec tous les risques qu’on peut voir… et qu’on a vus!Publifin et Nethys relèvent exactement de ce genre de schémas:on se dit qu’on peut trouver des structures qui vont abriter certaines préoccupations spécifiques et on les éloigne finalement du contrôle légitime et direct de l’autorité publique, c’est-à-dire dans ce cas du Parlement de la Communauté française», commente le Pr Marc Demeuse. Mais la question est également de savoir à quel point il existe une volonté politique d’assurer le développement et la pérennité du réseau officiel ou, au contraire, de le fragiliser. «Le réseau organisé par la FWB est sous la responsabilité d’un ou d’une ministre qui peut être plus ou moins favorable à l’existence même de ce réseau. On se retrouve donc, dans certains cas, dans la situation où le braconnier doit jouer le garde-chasse…»

Chronique d’une mort annoncée?

Pour que la FWB confie son rôle de pouvoir organisateur à une entité distincte, la proposition de la ministre devra obtenir une majorité de 2/3 au Parlement, comme le prévoit la Constitution. La structure juridique reste aussi à préciser:elle pourrait être celle d’un OIP (organisme d’intérêt public) ou se calquer sur les statuts sui generistels que ceux de l’université de Mons ou de Liège (universités de la Communauté française avec un conseil d’administration composé par des acteurs de terrain) ou encore celui de l’enseignement flamand, qui s’est doté, dès 1998, d’un pouvoir organisateur indépendant, GO!Une autre solution pourrait consister en la création d’une administration spécifique, sous la tutelle d’un ministre différent de celui qui assure la régulation pour l’ensemble des réseaux.

«Si une structure spécifique doit voir le jour, hors de l’administration de la FWB, la question est de savoir qui sont les personnes que l’on met à la tête de cette structure et surtout si l’enseignement organisé par la FWB doit vraiment se gérer par lui-même, loin d’un contrôle direct et public qui ne veut pas s’exercer», poursuit Marc Demeuse. Pour le professeur montois, la contractualisation pourrait en réalité être le premier pas vers la fin de l’officiel organisé. «La première étape, c’est de réduire l’enseignement public à un statut équivalent au privé pour pouvoir dire que finalement, l’État n’a rien à organiser et qu’il vaut mieux qu’il se contente de réguler l’ensemble. C’est généralement ce qu’on fait, en deux temps, quand on veut se débarrasser d’une structure publique et privatiser ses missions», analyse-t-il. Avec le risque, lorsqu’un problème survient, que les acteurs se renvoient dos à dos les responsabilités.

Sous couvert d’un modèle rationnel, ce serait une approche toujours plus libérale de l’enseignement qui serait en marche. Bien sûr, la Constitution belge continue de garantir l’existence d’un réseau officiel. Encore faut-il qu’il ne se réduise pas, au fil des ans, à peau de chagrin ou perde son identité. «L’enseignement officiel doit aussi se secouer et évoluer et il faut lui en donner les moyens, notamment en simplifiant ses structures. Mais il faut choisir qui donne le tempo et au service de qui. Si c’est pour rendre le statut de l’enseignement organisé par la FWB équivalent à celui des écoles libres, pour finalement lui dire qu’il n’a pas de raison d’être ou qu’il doit se comporter et être financé comme l’enseignement privé subventionné, ce n’est pas la peine», conclut Marc Demeuse.

 


(1) McKinsey & Company, «Contribuer au diagnostic du système scolaire en FWB», rapport final, 10 juin 2015.