Espace de libertés | Mai 2018

Respirer nuit gravement à la santé


Dossier

Provoquant le décès de 10 000 Belges par an, la pollution de l’air est devenue un enjeu de société à part entière. Le droit à respirer un air sain n’est pas encore assez respecté, malgré une mobilisation croissante des citoyens.


En mars dernier, Greenpeace a entamé une action en justice envers les gouvernements wallon et flamand pour obtenir des mesures plus représentatives de la qualité de l’air. L’ONG estime que les chiffres officiels de l’exposition réelle des citoyens à la pollution de l’air sont sous-estimés, notamment parce que le réseau de mesure est insuffisant. Une action venue s’ajouter à tant d’autres pour dénoncer la pollution atmosphérique dans notre pays.

«Après avoir mesuré la pollution à laquelle nous étions quotidiennement exposés, nous avons approché plusieurs scientifiques qui nous ont expliqué l’impact sur notre santé. La réponse nous a fortement choqués et nous a forcés à poursuivre la mobilisation pour faire connaître cette situation inacceptable au plus grand nombre», explique Lucas Demuelenaere du collectif Bruxsel­Air, une initiative née en 2016 suite à une campagne de mesure de la pollution de l’air dans la capitale. La sensibilisation de ce groupe citoyen ayant clairement permis que le sujet arrive régulièrement en tête des préoccupations principales des Bruxellois.

Une nette amélioration, mais peut mieux faire…

Ces dernières années, à Bruxelles comme dans le reste du pays, la qualité de l’air est en effet régulièrement pointée du doigt. Mais si la perception du public est celle d’une dégradation générale, la réalité serait par contre tout autre. «La qualité de l’air s’est significativement améliorée ces trente dernières années. Le dioxyde de soufre constituait par exemple un gros problème de santé publique dans les années 1960-1970. Et si l’on regarde l’évolution des concentrations, elles ont depuis chuté de façon spectaculaire, et actuellement, ce n’est plus un problème»,relève Philippe Maetz, expert à la cellule interrégionale de l’environnement (Celine), qui évalue quotidiennement la qualité de l’air en Belgique. Même au sujet des particules fines, très présentes dans l’air des pays industrialisés, des améliorations ont été constatées:«Il y a dix ans, des stations de mesure, notamment à Charleroi, dépassaient le seuil journalier imposé pour les concentrations de particules fines. Celui-ci était alors franchi une bonne partie de l’année (près de 150 jours). Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.»

Du côté d’associations comme le BRAL, mouvement urbain bruxellois qui défend une capitale durable, on partage le même constat qu’à Celine. «En effet, la pollution de l’air a diminué. La désindustrialisation du pays a changé pas mal les choses. La décarbonisation de la production d’énergie aussi. Même des processus industriels et automobiles, bien qu’ils s’adaptent lentement, permettent cette baisse d’émission de polluants. Parce que la loi l’oblige, qu’elle nous protège, notamment au niveau européen. On a fait des progrès et heureusement, mais la situation reste encore grave, indique Liévin Chemin du BRAL. Notamment en ce qui concerne les concentrations de particules fines (PM), de dioxyde d’azote (NO2) et d’oxyde d’azote (NOx).»

Le BRAL reproche aussi le suivi donné aux informations publiées par Celine:«Elle fait un travail de référence, mais en prenant le public pour des experts. Les informations sont là, mais elles ne sont pas suivies d’effets immédiats, notamment sur la santé ou sur le suivi de groupes à risque comme les enfants.»Cela devient dès lors une question politique, estime l’association, et le tout est de savoir si elle est volontaire ou pas.

Des mesures trop timides

Certaines mesures sont pourtant prises, notamment à Bruxelles, avec depuis le début de l’année la mise en œuvre d’une zone de basse émission, filtrant les véhicules les plus polluants. Mais de l’aveu de beaucoup, celle-ci aura surtout une portée symbolique plus qu’un réel impact immédiat sur la qualité de l’air, d’autant que dans la capitale, la pollution aux NOxest majoritairement liée à la manière dont nous nous déplaçons:«Plus de 67%des émissions viendraient ainsi du secteur du transport, selon l’administration bruxelloise», rappelle Lucas Demuelenaere. Les associations dénoncent aussi la lenteur de la mise en place de zones de basse émission. «En 25 ans, s’il y a bien un dossier sur lequel Bruxelles n’a pas avancé, c’est la mobilité. Il y a une telle tension politique qui fait que les autorités n’ont pas voulu déplaire aux électeurs, aux entreprises, au marché. Certains politiques ont présenté la zone de basse émission comme une mesure pour renouveler le parc automobile. Est-ce vraiment ce que l’on veut?»reproche encore Liévin Chemin. Il y a un phénomène de déni incontestable sur la question de la qualité de l’air, sans en mesurer les conséquences, dénonce le BRAL.

À Bruxelles, la mise en œuvre d’une zone de basse émission aura surtout une portée symbolique plus qu’un réel impact immédiat sur la qualité de l’air.

Tout cela dans un contexte de scandale industriel et sanitaire avec le «dieselgate», lié à l’utilisation par le groupe Volkswagen, de 2009 à 2015, de différentes techniques visant à réduire frauduleusement les émissions polluantes de certains de ses moteurs. «Plusieurs évaluations menées par Celine démontrent que le dieselgate a un impact signifi­catif sur la pollution de l’air en Belgique. Cette situation était connue depuis de nombreuses années par les experts et les décideurs politiques, ce qui n’a pas empêché le scandale. Il est évident que le lobby du secteur automobile a eu une influence néfaste majeure sur l’ambition des mesures prises, ce qui est préoccupant», dénonce BruxselAir.

Une question de santé

Une situation d’autant plus inquiétante que la pollution de l’air est source de nombreux problèmes cardiovasculaires et de maladies respiratoires. Elle cause plus de 10 000 décès prématurés chaque année en Belgique et coûte entre 10 et 30 milliards d’euros par an en soins de santé. «Aujourd’hui, on a énormément progressé dans l’identification des causes des polluants sur la santé. Tant et si bien qu’on se retrouve désormais devant un réel problème de société. Mais entre la pollution de l’air et les répercussions sur la santé, le lien n’est pas suffisamment estimé dans la prise de décision», explique la professeure Catherine Bouland de l’École de santé publique (ULB).

Des pistes d’action à différents niveaux existent comme la création de zones tampons sans véhicules autour de certains lieux sensibles telles les écoles, les crèches ou les maternités, à l’instar des Pays-Bas. «Mais cela ne suffira pas sans une politique de mobilité plus large permettant de changer réellement nos comportements. La fermeture des tunnels à Bruxelles était une occasion unique pour repenser nos modes de déplacement, le pouvoir politique l’a hélas! manquée», regrette Catherine Bouland.