Espace de libertés | Mai 2018

Le dernier roman de Walter Siti, «Au feu de Dieu», enflamme les débats en Italie. Son «péché» impardonnable? Se consacrer à la figure d’un prêtre pédophile et de ses désirs interdits.


Auteur de sept romans et d’essais critiques, spécialiste de Pier Paolo Pasolini et universitaire renommé, l’homme de 65 ans est considéré comme un écrivain majeur en Italie.Si son dernier roman a fait autant parler de lui, c’est parce qu’il aborde le sujet sensible par excellence:la pédophile. Peut-être le dernier tabou encore capable de choquer les lecteurs (?). L’histoire racontée par Walter Siti est celle de Don Leo, jeune prêtre d’une paroisse de la banlieue de Milan. Un prêtre qui se veut présent pour tous, avec ses actions de bienfaisance, en s’occupant de l’accueil des réfugiés, comme de la misère existentielle des cadres milanais… Une sorte de prêtre modèle, quoique tourmenté dans sa foi, tout sauf édulcorée, avec des sermons très radicaux, presque hérétiques, qui effraient les fidèles et vident l’église.

Il est tourmenté face à son désir, vivant dans la honte, avec de vieux démons:ceux de sa relation pédophile qui s’est exprimée dans sa jeunesse, dix ans plus tôt. Un passage à l’acte, telle une épée de Damoclès, qui le poursuit et qui risque de le terrasser à tout moment, notamment lorsqu’on lui confie Andrea, un jeune surdoué, fragile, négligé par ses parents. Mais l’histoire ne sera pas celle qu’on croit, et le prêtre ne succombera pas. «Quand j’ai pensé à mon personnage de prêtre, je l’ai considéré comme un acte final de mes livres précédents où il y a chaque fois une lutte entre un désir infini et une réalité sans espoir, une expression de la haine de soi et de la rage que soulève le monde. Mon prêtre ne fait pas exception. Il est totalement écrasé par l’obsession:d’une part, Dieu l’appelle, il est même persécuté par cette figure omniprésente, et de l’autre, ce désir d’attraction pour des enfants le tourmente. Ce qui m’intéressait à travers lui, c’était ce combat obsessionnel entre deux absolus», explique Walter Siti. C’est là toute la force du roman de l’auteur italien, qui tente de comprendre – et non de justifier – son personnage de prêtre, incarnation même de la «banalité du mal», en laissant les lecteurs à la recherche d’une réponse difficile pour eux comme pour les protagonistes du roman, à l’instar du jeune Andrea.

Un pays sans certitude

«Je m’attendais à des critiques, surtout en Italie», explique l’auteur. «Parce que la pédophilie est restée l’ultime tabou au niveau de la sexualité. Il est plus difficile d’en parler que de l’inceste ou que du sadomasochisme. En Italie plus qu’ailleurs. Comme le futur a quasiment disparu dans notre pays, toute l’espérance sociale se retrouve dans les enfants. Du coup, on ne peut même pas aborder le sujet, comme si c’était interdit»,continue Walter Siti.

Texte désespéré, Au feu de Dieuest aussi le portrait d’un pays sans espoir, dans une Milan infernale, dominée par les gratte-ciel, notamment celui, omniprésent, de la banque Unicredit, symbole de la finance et de la misère. «Comme il n’y a plus de certitudes en Italie, que les crises se succèdent les unes après les autres, qu’elles soient économique, sociale, politique ou migratoire, de nombreux Italiens se tournent toujours plus vers l’Église. Même dans les médias, on considère que le seul homme politique italien est le pape. La religion a repris énormément d’importance, mais en s’adonnant à des impératifs de conformisme, en faisant entendre aux fidèles ce qu’ils ont envie d’entendre», témoigne encore l’écrivain. «Mon personnage dit, au contraire, des choses anticonformistes, voire hérétiques, en prétendant par exemple que si la figure du Christ revenait aujourd’hui, il ne serait pas certain qu’il serait chrétien. C’est d’ailleurs un thème qui n’a pas du tout été abordé lors des polémiques en Italie, ce qui m’a beaucoup étonné.»Entre le blasphème et l’évocation des scandales de pédophilie qui entachent l’Église catholique, les yeux pieux ne sont visiblement pas prêts à tout lire.