Des écopunks en passant par les zadistes ou le Front de libération des animaux, le désir d’une révolution verte qui bousculerait le monde capitaliste au profit de la planète a toujours nourri l’écologie politique classique. Mais est-ce efficace?
L’écologie peut déstabiliser les bonnes âmes réformistes, mettre son grain de sable – voire sa fourche à purin – dans les rouages de la démocratie parlementaire. Tout comme bousculer les certitudes des « bons soldats » du développement durable, au rang desquels les grandes ONG environnementales et les représentants de l’écologie politique.
Une partie de l’intelligentsiafrançaise s’est longtemps méfiée (et continue de le faire) du concept même d’écologie. Le considérant parfois comme incompatible avec la démocratie. « Pour certains, la pensée écologique aurait une face sombre, un dessein caché, une origine totalitaire », analysent Floran Augagneur et Dominique Rousset dans Révolutions invisibles (1). Ce postulat était celui du livre de l’ancien ministre français de l’Éducation, Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique (2). Cet essai rédigé en 1992 associe toute pensée de la nature avec une pensée totalitaire et dénonce son essence antihumaniste. Dans cet ouvrage qui fait date, le philosophe s’attaque de front à l’un des concepts de l’écologie qui attribue des droits à l’ensemble du vivant. Sous-entendu aux dépens des êtres humains s’il le faut.
Le point Godwin de l’écologie politique
Près de 20 ans plus tard, la phobie d’une montée en puissance d’une écologie antidémocratique n’a pas quitté le débat politique français.Le très conservateur PascalBruckner affirme ainsi que l’écologie est une idéologie qui emprunte sa rhétorique à la religion chrétienne et ses symboles pour mieux culpabiliser l’homme contemporain et son comportement prédateur vis-à-vis de la planète, et faire régner en Occident une angoisse »de fin des temps » (3). Et cela, quelle que soit la réalité de l’épuisement des énergies fossiles ou du réchauffement climatique. Mêmes inquiétudes pour Jacques Attali qui, dans plusieurs tribunes récentes, met en garde sur le risque d’autoritarisme de la pensée écologique (4). Dans le viseur ? Le danger que feraient courir à la démocratie les groupes zadistes, qualifiés de radicaux, mus par une idéologie rétrograde autour de la décroissance et qui développeraient des zones de non-droit sur le territoire, en toute impunité.
D’un côté, la remise à plat de la hiérarchie entre les espèces et la demande d’un statut juridique pour le vivant, et de l’autre, l’activisme d’un mouvement écologique anticapitaliste, incarne depuis plusieurs décennies les polarités clivantes d’une écologie d’activistes qui passent par l’action, parfois violente, plutôt que par la négociation. Cette galaxie de groupes radicaux n’a pourtant pas cessé de nourrir l’écologie politique et les mouvements sociaux par leurs pratiques et leurs idées.
Écopunks dans le placard
Oubliés des médias et de l’histoire de l’écologie politique, les punks sont depuis la fin des années 1970 à l’avant-garde de nombre de causes portées par les mouvements écologistes : lutte antinucléaire, DIY, chasse à la voiture, défense des droits des animaux, véganisme. Dans leur passionnant essai Écopunks (5), Fabien Hein et Dom Blake racontent comment autour de l’ALF (Animal Liberation Front), les punks hardcores vont trouver une cause forte qu’ils vont faire leur. La Belgique fait d’ailleurs partie de cette scène punk Straight Edgeavec le festival punk hardcore Ieperfestqui a lieu chaque année au mois d’août. La journaliste Élisabeth Debourse raconte avec talent l’évolution de cette musicale hardcore et végétarienne au fin fond de la Flandre dans l’une des éditions du magazine Wilfried (6). Une frange minoritaire du mouvement dérapera politiquement, en s’associant avec des mouvements anti-avortement et prônant un mode de vie franchement réactionnaire. « Le do it yourself, le véganisme mais aussi la critique des menaces techno-industrielles traversent l’histoire du punk », explique Dom Blake dans une interview au magazine Usbek et Rika. « Les discours sur la société de groupes comme Crass, Oi Polloi ou MSC sont totalement neufs à l’époque (dans les années 1980, NDLR). Les formes d’action privilégiées consistent en la création de zones autonomes de l’espace public. C’est le cas du mouvementStop the City, et un peu plus tard de Reclaim the Streets. Il s’agit de bloquer les villes pour y imposer temporairement certaines pratiques artistiques et militantes, y promouvoir de nouveaux rapports sociaux, d’autres manières de les habiter, y affirmer l’exigence de relations différentes avec le monde animal », poursuit l’auteur.
Zadistes : écoguerriers ou pacifistes décroissants ?
Les écopunks annoncent ainsi l’écologie radicale contemporaine, qui construit des espaces autonomes en dehors des villes, comme les ZAD (zones à défendre), soit une zone au sein de laquelle un projet d’aménagement doit être réalisé et qui est occupée, souvent illégalement. Les zadistes se mobilisent contre ce qu’ils considèrent comme « des grands projets imposés et inutiles ». Ils n’hésitent pas à squatter ces territoires, s’organisent parfois en communautés autonomes et autogérées, hors des règles de l’État de la société marchande, s’inspirant d’idéaux libertaires et décroissants. Leurs détracteurs y voient des zones de non-droit où la guérilla règne en maître. Leurs adeptes, eux, y perçoivent les laboratoires de la société de demain où œuvrent les petits-enfants de Pierre Rhabi. Et les ZAD sont certainement tout cela en même temps.
Le plus célèbre exemple est certainement celui de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, à la fois héritage des luttes du plateau du Larzac où paysans et militants écologiques se sont associés pendant des années contre l’extension d’un terrain militaire et des pratiques altermondialistes. Les ZAD ont cette originalité d’être à la fois un lieu de résistance et un terrain d’expérimentation sociétale. Elles sont plus d’une dizaine en France. En Belgique, l’expression la plus massive de ce type de résistance écologique fut déployée sur le terrain de la future mégaprison de Haren, à la périphérie bruxelloise, finalement démantelée en septembre 2015. D’autres actions citoyennes contre l’implantation de nouveaux bâtiments en zones vertes se multiplient ces dernières années en Belgique, sans forcément être qualifiées de ZAD.
Du radicalisme au compromis
L’engouement pour les circuits courts dans l’alimentation, les mouvementNo Wasteet DIY, la demande d’une démocratie plus participative ou encore l’engouement pour les modes de déplacements doux sont autant d’indices d’une société civile qui, avec la crise financière de 2008 et la lutte contre le réchauffement climatique, est prête à bouger pour se construire un avenir. Quitte à se nourrir des expériences et pratiques menées en laboratoire de radicalité écologique, un peu à l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir… Comme le souligne la philosophe Isabelle Stengers, « l’écologie politique, s’il y en a, est tout entière un art de la diplomatie. Elle se constitue comme une écologie des relations, des pratiques collectives : entre des pratiques de savoir, des types d’activité, d’intelligence collective divergentes, mais capables, éventuellement, de compromis entre elles » (7).
(1) Floran Augagneur, Dominique Rousset, Révolutions invisibles. 40 récits pour comprendre le monde qui vient, Paris, Les Liens qui libèrent, 2015
(2) Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique, Paris, Grasset, 1992
(3) Pascal Bruckner, Fanatisme de l’Apocalypse. Sauver la terre, punir l’homme, Paris, Grasset, 2011
(4) Jacques Attali, « Pour une démocratie positive », blog « Conversation avec Jacques Attali », mis en ligne sur http://blogs.lexpress.fr, le 5 décembre 2017
(5) Fabien Hein et Dom Blak, Écopunks. Les Punks, de la cause animale à l’écologie radicale, Paris, 2016
(6) Elisabeth Debourse, « Straight Edge. Croisés végés », dans Wilfried, n° 2, hiver 2017-2018
(7) Isabelle Stengers : « La rationalité se trouve du côté de la remise en question du pouvoir et des experts », dans Regards, 9 décembre 2014