Il y a 50 ans, Martin Luther King était assassiné à Memphis. L’auteur de la phrase mythique « I have a dream » n’a pas tout gagné, mais il a fait évoluer l’Amérique. Reste à changer les mentalités.
Le calendrier des célébrations nous a ramené ces dernières semaines à Martin Luther King, militant non violent pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis, assassiné le 4 avril 1968 par un suprémaciste blanc. Cet anniversaire aurait pu perdre en résonance par rapport à 2008:cette année-là, alors que l’on commémorait les quarante ans de la mort du pasteur noir, Barack Obama conquit la Maison-Blanche en promettant de rendre l’Amérique meilleure. Il y avait comme une suite logique entre ces deux moments. La mémoire de Martin Luther King avait contribué à changer les mentalités, rendant possible à terme l’accession d’un métis à la présidence des États-Unis.
Aujourd’hui, le cinquantième anniversaire de la mort de Martin Luther King intervient en un temps moins festif. Donald Trump est devenu président des États-Unis, au terme d’une campagne clivante, gagnée en partie grâce aux conseils de Steve Bannon, véritable héraut de la droite américaine la plus dure. Présent aux côtés de Marine Le Pen à Lille le 10 mars dernier, l’ex-conseiller a réitéré son discours:«Laissez-les vous appeler racistes, xénophobes, islamophobes… Portez-le comme un badge d’honneur parce que chaque jour qui passe nous devenons plus forts, et eux s’affaiblissent», a-t-il lancé au public frontiste.
Le long combat des droits civiques
Rien n’est jamais acquis. Il en va de même pour le combat qu’ont mené chacun à leur manière les Rosa Parks, Martin Luther King, Malcom X et autre Stokely Carmichael. Un coup d’œil dans le rétroviseur nous rappelle ainsi qu’un siècle s’est pratiquement écoulé entre l’abolition de l’esclavage intervenue au terme de la guerre de Sécession (1861-1865) et la fin de la ségrégation raciale aux États-Unis. Les Noirs américains n’ont obtenu la jouissance de leurs droits civiques élémentaires que dans les années 1950-1960. Signé en 1964 par le président Lyndon Johnson, le Civil Rights Act a déclaré illégale la discrimination reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale. Quant au Voting Rights Act, loi également signée en 1965 par le successeur de JFK à la Maison-Blanche, il a assuré le droit de vote pour les minorités dans tout le pays. En 1967, l’arrêt de la Cour suprême Loving v. Virginia a déclaré anticonstitutionnelle l’interdiction des mariages mixtes. Aujourd’hui, l’Amérique a intégré la lutte pour les droits civiques des Noirs – étendus aux autres minorités – dans son histoire officielle. Depuis 1986, le Martin Luther King Day est un jour férié aux États-Unis.
Droits sociaux à la traîne
Toutefois, l’Amérique multiraciale est loin d’être apaisée. L’obtention des droits civiques n’a pas donné aux Noirs la garantie des droits sociaux. Le fait que Martin Luther King ait été «nobelisé»en 1964 ou que 700 villes américaines possèdent au moins une rue dédiée à l’apôtre de la non-violence n’empêche pas l’égalité économique de rester un «rêve»inaccessible pour une large partie de la population afro-américaine.
En cinquante ans, l’écart entre Noirs et Blancs ne s’est pas réduit à plusieurs titres. Les Noirs constituent 13,6%de la population totale des États-Unis. Mais ils représentent aussi 23%des personnes sous le seuil de pauvreté et 39%des sans-abri. Le taux de chômage des Noirs, que Donald Trump se félicite d’avoir fait tomber «à un plus bas niveau historique»à 6,8%en décembre, est remonté en janvier à 7,7%, soit le double de celui des Blancs. Les Afro-Américains représentent 40%de la population carcérale. Selon le Centre d’information sur la peine de mort, 34%des exécutés depuis 1976 étaient des Noirs. En matière d’éducation, l’égalité entre Blancs et Noirs est une réalité au lycée, mais pas à l’université. Un Blanc a deux fois plus de chances d’obtenir son diplôme qu’un Noir, et ce, malgré les mesures de discrimination positive adoptées depuis les années 1970.
L’économique et le social creusent aujourd’hui le fossé qu’a tenté de combler Martin Luther King en luttant pour les droits civiques. King s’était pourtant lui-même intéressé aux problèmes sociaux, tandis que le Black Panther Party revendiquait ouvertement la «question sociale et raciale»comme lieu-clé de son action. Avec en filigrane, l’idée que la lutte ne se place plus seulement dans le rapport à l’autorité, mais qu’elle prend également appui sur les différences qui existent entre les franges de la population.
Le spectre de la ségrégation
Récemment, l’ancien sénateur démocrate Fred Harris a évoqué une «re-ségrégation»en matière de logement et d’éducation. Harris est le seul membre encore vivant de la commission Kerner mise en place par le président Lyndon Johnson pour enquêter sur les causes des émeutes sanglantes de 1967 à Detroit. «Notre nation est en train de se scinder en deux sociétés, l’une noire, l’autre blanche – séparées et inégales», avertissait alors le rapport. Un demi-siècle plus tard, les progrès accomplis en matière d’inégalités et de pauvreté ont laissé place à une stagnation, voire à une régression, selon un nouveau rapport cosigné par Fred Harris. À titre d’exemple, épingle The Guardian, «en 1988, 44%des élèves noirs allaient dans des établissements à majorité blanche. Aujourd’hui, c’est le cas pour seulement 20%d’entre eux».
Comme tous les combats, celui de Martin Luther King a connu ses reculades et ses avancées. Ses zones grises. Comme il existe des Blancs pauvres aux États-Unis, il existe une frange de la population noire qui a plus ou moins bien réussi. Avec ses champions, ses vedettes, ses millionnaires, ses bancables. Sa classe moyenne. Le confort social et économique ne suffit toutefois pas à tout égaliser. Ainsi la mort de Trayvon Martin en 2012 a rappelé qu’il suffit parfois d’être noir, de porter un sweat-shirt à capuche et de fumer de la marijuana pour être ramené au rang de petit délinquant. Ce préjugé tenace valut à George Zimmerman, le vigile qui a abattu l’adolescent de 17 ans dans un lotissement multiethnique de Sandford (Floride), d’être acquitté.
La communauté afro-américaine sait qu’il existe «une histoire de disparités raciales dans l’application de nos lois pénales». C’est ce que fit remarquer Barack Obama tout en appelant à respecter la décision du jury d’acquitter Zimmerman. Une disparité de plus…