Le concept juridique d’écocide et la reconnaissance au niveau du droit international de la lutte contre les atteintes graves à l’environnement cheminent lentement au niveau des instances de pouvoir, notamment poussés par des juristes et professeurs de droit.
Le projet «Écocide»est né du constat formulé dans plusieurs rapports officiels tant nationaux qu’internationaux d’une augmentation et d’une aggravation considérables du phénomène de la criminalité environnementale. Ce nouveau marché criminel est florissant puisqu’il génère entre 30 et 70 milliards de dollars par an, ce qui le classe au quatrième rang des activités illicites internationales, après le trafic de stupéfiants, la contrefaçon et le trafic des êtres humains. Un tel phénomène s’explique, entre autres, par des profits élevés comparés à un risque réduit en termes de poursuites et de sanctions, traduits par l’expression high profit-low risk. Face aux défaillances du droit pénal dans la lutte contre la criminalité environnementale, il était urgent d’en comprendre les raisons, afin de proposer les évolutions adéquates.
Les données accessibles quant à cette réalité criminelle étant limitées, le groupe de travail de juristes dont j’ai coordonné les travaux (1) s’est associé à une équipe de journalistes du Mondequi a mené l’enquête dans près de dix pays pour mettre au jour les leviers de la criminalité environnementale et prendre la mesure des lacunes du droit en la matière. Le résultat des investigations des journalistes a été publié dans Le Mondedébut 2015, dans une série intitulée «Écocide»qui traite de cinq trafics internationaux: le bois de rose, les déchets électroniques, les mines d’étain illégales, les tigres et les pesticides contrefaits;le tout regroupé dans le livre Les Prédateurs. La nature face au crime organisé (2).
Faiblesses du droit
Les enquêtes (citées ci-dessus) montrent que les trafics importants concernent les déchets en tout genre et notamment les déchets électroniques, le bois précieux, ou encore les espèces protégées comme pour les produits issus des tigres sauvages, ainsi que les pesticides contrefaits.
Avant tout, il faut souligner que la faiblesse actuelle du droit dans la lutte contre la criminalité environnementale tient notamment de la différence de niveau de sanctions des atteintes à l’environnement dans le monde et donne lieu à un véritable dumping environnemental dont profitent les organisations criminelles mafieuses et les multinationales. C’est pour dépasser les faiblesses du droit que le groupe de travail que j’ai coordonné a remis un rapport à la Garde des Sceaux qui comprend trente-cinq propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement formalisées dans deux projets de conventions internationales destinées à faire évoluer l’arsenal juridique. Poser les jalons du droit pénal de l’environnement de demain suppose d’engager une double politique criminelle, à la fois globale et locale. D’une part, à l’échelle mondiale, il s’agirait d’engager un mouvement d’internationalisation de la protection pénale de l’environnement. La France pourrait ainsi porter un projet de traité international pour lutter contre la criminalité environnementale prévoyant, entre autres, une harmonisation des sanctions, une responsabilisation des multinationales ou une amélioration de l’accès de la société civile à la justice. Pour les crimes environnementaux les plus graves, il serait opportun d’adopter un texte spécifique dédié au crime d’écocide, véritable prolongement du crime de génocide, mais pour les atteintes à la sûreté de la planète, avec des règles spécifiques comme l’institution d’un procureur international de l’environnement ou la création d’une Cour pénale internationale de l’environnement. D’autre part, en France, la simplification du droit pénal de l’environnement s’impose. Cela pourrait passer par la création d’un chapitre spécialisé sur les infractions environnementales dans notre Code pénal, dans le prolongement de ce qui existe depuis cette année en Italie.
Quid de la COP21?
La COP21 a-t-elle fait une place à la prévention contre les crimes environnementaux?La question de la lutte contre la criminalité environnementale n’entre pas directement dans le champ de la COP1. Pour autant, de manière indirecte, elle est concernée, que l’on cite par exemple la déforestation illégale ou encore l’affaire Volkswagen qui a falsifié le niveau réel des taux de gaz polluants de ses véhicules et notamment des gaz à effet de serre. Ce type d’actions, contraires à la loi, participe donc à aggraver les changements climatiques. Pour autant, au-delà de la COP21, il faut citer l’adoption récente, le 30 juillet 2015, par l’Assemblée générale des Nations unies, d’une Déclaration sur la surveillance du trafic des espèces sauvages qui «encourage les États membres à adopter des mesures efficaces pour prévenir le grave problème que constituent les crimes qui ont une incidence sur l’environnement».
En définitive, le mouvement pour un renforcement de la protection de l’environnement par le droit pénal est en marche. Il doit encore être consolidé afin de faire du droit une arme puissante contre les crimes qui menacent la planète et dès lors une voie d’espérance au service des intérêts essentiels de l’humanité.
(1) Après les trois années de travail de ce groupe de seize juristes qui a travaillé pour proposer des textes sanctionnant les crimes environnementaux s’en est suivie l’annonce de l’inscription de la notion de préjudice environnemental dans le Code civil français.
(2) Les Prédateurs. La nature face au crime organisé. Une enquête Le Monde, Paris, Ateliers Henry Dougier, coll. «17/25», 2015, 128 p.