Espace de libertés – Mai 2015

«Assurer l’éducation primaire pour tous», rêve ou réalité?


Dossier
Quinze ans après le Sommet du millénaire à New York, quel bilan pour le deuxième objectif du millénaire pour le développement?

Certes, des avancées quantitatives ont été réalisées. Mais à en croire le Rapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous (RMS-EPT) 2013/4, les résultats escomptés en matière d’accès à l’éducation de base ne seront pas atteints en 2015. « En 2011, on dénombrait 57 millions d’enfants non scolarisés, dont la moitié vivait dans des pays touchés par les conflits. Si les tendances restent inchangées en Afrique subsaharienne, tous les garçons issus des milieux les plus favorisés achèveront l’enseignement primaire mais, pour les filles pauvres, il faudra attendre 2086. » (1)

D’abord, rappelons que le champ d’action du mouvement de l’EPT est large puisqu’il tend à couvrir la protection et l’éducation de la petite enfance, l’éducation universelle et l’alphabétisation des adultes. L’Institut de statistique de l’UNESCO déclare qu’entre 2000 et 2007, le nombre d’enfants en âge d’aller à l’école mais pourtant non scolarisés a baissé de 45% et que depuis 2008, ce chiffre stagne. Plusieurs facteurs expliquent cette situation: la pauvreté, le travail des enfants, la mauvaise santé, les conflits (2), le sexe, l’ethnie, la langue, le mode de vie nomade, la croissance démographique, le handicap, la conjoncture mondiale et le non-respect des engagements internationaux via l’aide publique au développement ou via les dons. Par ailleurs, le RMS-EPT souligne que «250 millions d’enfants scolarisés n’ont pas acquis les bases de la lecture, de l’écriture et des mathématiques alors que 130 millions d’entre eux ont atteint la quatrième année primaire».

Aujourd’hui, les politiques éducatives souffrent de l’absence d’une vision stratégique à moyen et à long terme dotée de moyens conséquents et d’un processus global de réflexion défaillant. À ceci se greffe la croissance des inégalités au sein d’un même pays liée aux disparités en termes de revenu, de genre, d’appartenance ethnique ou de lieu de résidence; ce qui agit non seulement sur l’accès à l’éducation primaire pour tous, mais aussi sur la qualité de l’éducation. Rappelons que sur 176 pays, seuls 59 d’entre eux ont atteint la parité des sexes dans l’enseignement primaire et secondaire. De plus, au cours de ces quinze dernières années, les enseignants sont les grands oubliés des dispositifs éducatifs, pourtant au cœur de l’éducation. Experts et associations mettent en évidence le manque de considération politique du personnel enseignant et donc, quelque part, de l’éducation même. Cette situation a d’énormes répercussions: nombre d’enseignants et d’inspecteurs de l’éducation nationale trop peu élevé, qualité douteuse de la formation des professeurs et des accompagnateurs scolaires, bas salaire et faible budget pour la gestion courante, recrutement hasardeux et privilèges, surpopulation des classes et infrastructure vieillissante, faiblesse des liens avec les agences de l’éducation nationale, quasi-absence de valorisation des métiers liés à l’enseignement. En conséquence, les acteurs du système éducatif, souvent démotivés, sont mal outillés et peu encadrés pour dispenser un enseignement de qualité, ce qui explique en partie les mauvais résultats en lecture et écriture. À ce propos, les rapports d’évaluation de l’UNESCO épinglent le manque d’amélioration de la qualité de l’enseignement, car «les gouvernements élaborent leurs stratégies de réforme de la gouvernance à partir des modèles des pays riches sans les soumettre à une analyse critique».

L’aide publique au développement de l’Union européenne

© Olivier WiameVia l’aide publique au développement (ADP), l’UE intervient financièrement pour plus de la moitié de l’aide accordée à l’éducation dans le monde. Son intervention se décline en trois orientations: politique, financière et programmatique. Son institution exécutive, la Commission européenne, intervient via les politiques de coopération au développement et d’aide humanitaire. Entre 2007 et 2013, le montant de l’aide à l’éducation de l’UE a représenté 4,2 milliards d’euros, dont 2,9 milliards pour l’éducation de base (primaire et secondaire) (3).

Depuis 2007-2008, l’ADP est en baisse, ce qui est dû, en partie, au non-respect des donateurs de leurs engagements, à la conjoncture internationale et aux conditions d’obtention des aides. D’après l’UNICEF, cette baisse des fonds impacte énormément le financement de l’éducation, surtout au niveau préprimaire, primaire et premier cycle du secondaire. Selon le RMS 2009, la Commission européenne, plusieurs pays de l’UE et les USA ont contribué faiblement à l’objectif 2 des OMD. Par ailleurs, il semblerait que la répartition de ces aides soit inégale, notamment en raison de l’impératif de bonne gouvernance.

En recoupant les informations reprises dans différentes études, l’ADP essuie principalement deux reproches: les bailleurs de fonds seraient peu enclins à coordonner leur assistance et les coûts unitaires des services apportés par l’aide sont trop élevés. À notre connaissance, en ce qui concerne l’efficacité de l’ADP de l’UE, il n’existe pas de recherches qui couvriraient la période 2000-2015. Cela étant dit, en 2004, une étude sérieuse mettait en exergue l’inefficacité de l’UE. François Orivel, chercheur au CNRS, écrivait: «La lourdeur des procédures a conduit à d’énormes retards dans la réalisation des projets d’aide. Les fonds sont dépensés avec plus de cinq ans de retard dû notamment au manque de personnel».

Des OMD aux ODD, faire plus mais mieux!

L’objectif de l’école pour tous doit aller de pair avec une éducation de qualité inclusive pour tous via une « approche intégrée visant à éliminer les obstacles structurels et les inégalités en tout genre qui tiennent les enfants à l’écart de l’école » (4). Aussi, les spécialistes de l’éducation plaident pour que l’équité et la réduction de la pauvreté soient au cœur des réformes de la gouvernance du système éducatif. L’engagement des États devrait être renforcé qualitativement et quantitativement par un cadre de référence politique, participatif et inclusif. Les programmes d’actions gouvernementaux devraient davantage prendre en compte les spécificités des contextes nationaux et locaux ainsi que toutes les catégories de la population (en particulier les femmes et les jeunes) et les acteurs de l’éducation, en ce compris les syndicats d’enseignants. Parallèlement, la valorisation des professions liées à l’enseignement, l’amélioration qualitative et quantitative de l’offre de formation, une meilleure répartition entre les acteurs de la charge que pose le défi de l’éducation s’avèrent être des éléments complémentaires et fondamentaux.

Enfin, les nouveaux Objectifs du développement durable (ODD) devront renforcer davantage l’éducation comme un droit et non pas seulement comme un des nombreux axes d’action des politiques de développement. Les spécialistes sont confiants, ils annoncent une approche plus globale de l’éducation, de la petite enfance jusqu’à l’âge adulte, et la question de la qualité devient transversale.

Maintenant, il appartient aux États de passer à la vitesse supérieure et de faire de ce droit à l’éducation pour tous une réalité. De son côté, l’ADP doit être repensée et adaptée aux réalités de terrain. Rappelons que l’éducation est une des clés de la prévention et de la lutte contre la pauvreté, les conflits et guerres, le sida et autres maladies et toutes autres formes de violence et d’inégalités. L’éducation, au sens large, est aussi une ressource à la base du changement des mentalités. Terminons en gardant à l’esprit que l’éducation est un investissement, certes conséquent, mais à tous les coups gagnant et porteur d’une liberté incommensurable.

 


(1) Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2013/4.

(2) D’après l’ONU, «la moitié des 58 millions d’enfants non scolarisés en âge de fréquenter l’école primaire vit dans des zones affectées par des conflits».

(3) Développement et coopération – EuropeAid, Contribution de l’UE aux Objectifs du millénaire pour le développement. Quelques résultats importants des programmes de la Commission européenne, Luxembourg, Office des publications de la Commission européenne, 2013. Brochure mise en ligne sur http://ec.europa.eu.

(4) Internationale de l’éducation.