Espace de libertés – Mai 2015

« Il faut s’attaquer aux causes structurelles des inégalités entre les sexes »


Dossier

Un entretien avec Carla Sandoval

Carla Sandoval est chargée de mission au sein de l’association « Le monde selon les femmes ». Elle suit de près les négociations visant à définir des objectifs du développement durable, qui remplaceront les objectifs du millénaire pour le développement. Elle dresse un bilan critique des réalisations en matière d’égalité entre les sexes.

Espace de libertés: Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) avaient pour ambition de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Ces objectifs visaient des changements importants pour l’année 2015. Quel bilan en tirez-vous?

Carla Sandoval: De manière générale, nous sommes assez critiques vis-à-vis des objectifs du millénaire pour le développement. Ils ont pu faire évoluer certaines choses, mais ils sont ancrés dans une vieille vision où les problématiques, qu’il s’agisse du changement climatique, de la dégradation de l’environnement ou des migrations, sont considérées comme des enjeux des pays du «Sud», plutôt que comme des enjeux mondiaux. Il existe effectivement un objectif spécifique pour les femmes. Mais cet objectif ne s’attaque pas aux causes structurelles des inégalités entre hommes et femmes.

Lorsque les Nations unies évaluent les progrès réalisés, on remarque tout de même des évolutions intéressantes. Dans le domaine de l’égalité d’accès des garçons et des filles à l’éducation…

Dans le domaine de l’éducation, il y a eu effectivement quelques avancées. On compte davantage de filles inscrites à l’école primaire. Mais le primaire ne suffit pas pour rendre réellement autonome un individu. On aurait dû aller plus loin et axer davantage sur le secondaire.

Vous évoquiez les causes structurelles des inégalités. Quelles sont-elles?

On pense en premier lieu au patriarcat comme système d’oppression et de pouvoir des hommes sur les femmes. Sans s’y attaquer, on ne remet pas en cause les inégalités. L’autre cause structurelle des inégalités est à chercher du côté des politiques néolibérales.

Dans l’objectif du millénaire consacré à l’égalité des sexes, l’importance d’augmenter la proportion de femmes employées en dehors du secteur de l’agriculture est soulignée. L’objectif a-t-il été atteint?

Dans ce domaine, nous constatons plutôt un recul. Les femmes, dans les pays du Sud, sont surreprésentées dans l’économie informelle et ont souvent un statut plus précaire et des salaires plus bas que les hommes. Ici dans le Nord, les femmes prennent plus que les hommes des contrats à mi-temps et même ici en Belgique, l’écart salarial est encore d’environ 20%.

Le dernier «sous-objectif» concernant les femmes cible l’augmentation du nombre de femmes parlementaires…

On estime que le pourcentage de femmes parlementaires atteint péniblement les 20%. Les progrès sont tellement lents. Il faudrait 100 ans pour arriver à la parité des représentants. L’insertion des femmes à des postes de décision est une problématique multidimensionnelle: l’éducation, le plafond de verre, l’autonomisation des femmes, les inégalités de genre sont à prendre en compte. Les quotas, qui sont des mesures positives, peuvent améliorer cette situation et permettre de briser les mécanismes du système patriarcal. Néanmoins, il faut accompagner ces mesures d’autres stratégies et de politiques publiques permettant la transformation des relations de pouvoir entre hommes et femmes.

Vous plaidez pour changer la façon de concevoir ces objectifs internationaux…

Oui, nous souhaiterions que la dimension «genre» traverse tous les objectifs. Et que cette dimension soit mesurée à l’aide d’indicateurs. En ce moment, les objectifs pour un développement durable, qui remplaceront les objectifs du millénaire pour le développement, sont négociés. On y prévoit par exemple un objectif visant à garantir l’accès de tous à l’énergie. Si on ne couple pas cet objectif à une perspective de genre alors on passe à côté d’une partie des enjeux, car les hommes et les femmes n’ont pas le même accès à l’énergie. Ni les mêmes rôles. En Amérique latine ou dans certains pays d’Afrique, ce sont les femmes qui vont chercher l’eau ou le bois.

Quels sont les enjeux de ces négociations concernant les futurs objectifs du développement durable?

Dix-sept objectifs devraient être adoptés en septembre 2015, accompagnés de 169 indicateurs. Dans le cadre de l’objectif sur l’égalité des sexes, le numéro 5, nous nous battons toujours pour que l’on s’attaque aux causes structurelles des inégalités. Prenons l’exemple des violences faites aux femmes. Il s’agit d’une des causes du sous-développement. Beaucoup de pays se positionnent pour ne pas explicitement faire figurer la lutte contre les violences faites aux femmes comme un objectif, ils considèrent qu’il s’agit d’une affaire privée. Les féministes demandent que l’on mentionne très clairement les violences faites aux femmes, car elles mettent à nu toute cette structure patriarcale. Les débats relatifs à l’égalité des sexes amènent aussi à des batailles autour des droits sexuels et reproductifs. Certains États souhaitent que l’on ne parle pas de «droits». Derrière ce mot, ce sont les combats pour l’accès à l’éducation sexuelle, aux moyens de contraception, à l’avortement qui se jouent. J’avoue avoir de grands doutes sur la qualité des textes qui vont sortir, car je vois qu’il n’y a pas de vrai questionnement sur les causes structurelles des inégalités.