Il n’est pas dans nos habitudes de critiquer les médias, et pour cause: nous en sommes un. Dans le contexte de radicalisation que nous connaissons aujourd’hui, il nous paraît néanmoins utile de s’interroger sur la mode du «pour ou contre» qui sévit actuellement dans de nombreux médias, à l’aune de deux expériences récentes. La première a pour contexte l’affaire de la piscine communale de Jambes, louée, en dehors des heures d’ouverture au public, à une association musulmane pour permettre à des femmes d’y pratiquer la natation hors du regard des hommes. Le CAL est contacté par le journal télévisé de la chaîne publique, pour réagir en direct dans le journal de 13 heures. Nous acceptons et préparons l’intervention. Dans la foulée, nouveau contact téléphonique avec la rédaction: «Êtes-vous pour ou contre cette mise à disposition de la piscine?» Réponse: «Tout dépend des circonstances, mais dans le cas présent, il semblerait qu’il n’y ait pas d’entorse à l’impartialité des services publics, puisque la piscine serait normalement fermée.» La rédaction: «Donc, vous n’êtes ni pour ni contre?» Réponse: «La réponse est un peu plus nuancée.» La rédaction: «Alors, nous n’allons pas vous prendre au JT. Nous voulons quelqu’un qui est pour et quelqu’un qui est contre. Vous comprenez, c’est un peu du show-biz.» Ah bon?
Deuxième exemple, la même semaine. Contexte: les 25 ans de la loi sur l’avortement. La porte-parole de la plate-forme Abortion Right, constituée essentiellement de professionnels de la santé, vient de donner une interview à un quotidien, qui se révèle être un «pour ou contre» face à l’Institut européen de bioéthique, notoirement faux institut officiel et vrai lobby traditionaliste catho déguisé. Le lendemain, appel de la chaîne privée: «Bonjour, nous voudrions vous inviter en studio à l’occasion des 25 ans de la loi…» Réponse: «Oui, dans quel contexte et avec qui?» La rédaction: «Un “pour ou contre” avec l’Institut européen de bioéthique». Réponse: «Désolée, c’est non.» Et d’expliquer, pour la énième fois, que ce lobby, dont les arguments sont purement idéologiques, ne saurait constituer un interlocuteur de nature à établir un dialogue rationnel.
Cette mode du «pour ou contre» incite les médias à donner la parole à des interlocuteurs sélectionnés en fonction de la radicalité de leurs propos. Comment espérer, en limitant l’information à l’opposition de deux avis extrêmes et sans nuances, rencontrer les exigences de ce vivre ensemble réclamé à cor et à cri? Comment s’étonner que la société réagisse de façon duale et que se forment des antagonismes qui dressent les communautés les unes contre les autres? Veut-on produire des citoyens incapables de toute pensée critique, réduits à fonctionner de façon binaire, comme un ordinateur? La pensée critique est ce qui rend l’être humain libre. On aimerait que les pratiquants du «pour ou contre» se rendent compte de leur responsabilité à l’égard des générations futures.