Avec l’adoption de la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie, certains oracles avaient prédit les pires abominations qui, inévitablement, allaient découler de cette législation. Des prémonitions et dénonciations récurrentes… et pourtant jamais avérées.
«Dérives», «pente glissante», soupçon de vider les hôpitaux… Que n’a-t-on entendu ou lu à ce propos de la bouche ou sous la plume des opposants à l’euthanasie (1)? Un véritable travail de désinformation, d’intoxication jouant uniquement sur les peurs mais qui, petit à petit, a fini par occuper un certain espace médiatique, voire déborder en dehors de frontières de notre petit pays. À cet égard, on doit constater que, au gré de situations bien spécifiques qui surgissent dans l’actualité (comme la situation carcérale apocalyptique de notre pays), surfant vaille que vaille sur les soubresauts des médias qu’elles entraînent, ces opposants à l’euthanasie ne désarment pas et profitent de chaque occasion pour tenter, à partir de ces cas particuliers, de saper la loi sur l’euthanasie, mais ce, de façon générale.
Élucubrations épiscopales
Et, dans ce fastidieux travail de sape, comment ne pas retenir la récente prise de position des évêques de Belgique quant à l’euthanasie des personnes dites démentes? Certes, il n’est pas simple de discerner la volonté d’adultes dont la lucidité décline et dont la clairvoyance n’est plus optimale mais, en l’espèce, aucune initiative parlementaire n’a encore vu le jour sous cette législature. Mais qu’importe pour les opposants à l’euthanasie! Pour eux, l’important, c’est d’anticiper, d’empêcher la tenue d’un débat sur ce thème (bref, cadenasser à l’avance ce débat du sort des personnes dites démentes face à leur fin de vie) et, surtout, de répéter encore et toujours, leur credo sur les supposées «dérives» dans l’application de la loi relative à l’euthanasie. On peut ainsi lire dans cette «opinion» que, «depuis la loi de 2002 sur l’euthanasie, le constat s’imposerait: la dérive prédite à l’époque est devenue réalité. Les limites de la loi sont systématiquement contournées, voire transgressées». Une affirmation pour laquelle on attend au moins une illustration, au mieux des éléments concrets, voire des dossiers en pagaille… En vain. L’affirmation semble, pour ses auteurs, pleinement se suffire à elle-même.
Heureusement, cette «sortie» médiatique n’a pas laissé indifférent un de nos députés fédéraux qui a pris au mot nos évêques. Jean-Jacques Flahaut, député du Mouvement réformateur, a ainsi vigoureusement interpellé notre ministre de la Justice: «Monsieur le Ministre, les bras m’en sont tombés, et le mot est faible, lorsque j’ai lu les propos tenus par les évêques de Belgique le 2 mars dernier.» S’interrogeant sur les allégations des évêques, il a donc demandé à Koen Geens, ministre du seul parti de la coalition fédérale se revendiquant encore chrétien, si ce dernier avait connaissance «de cas avérés où la loi aurait été bafouée».
Réponse juridique sans appel
Je n’ai reçu de mes services aucun signal inquiétant qui indiquerait que la loi ou le respect de celle-ci nécessiterait un ajustement dans la pratique.
Après avoir expliqué la loi du 18 mai 2002 et son mécanisme de contrôle, la réponse de notre ministre de la Justice a été claire et sans appel: «Je n’ai, pour le moment, connaissance détaillée d’aucun cas. Du reste, je n’ai reçu de mes services aucun signal inquiétant qui indiquerait que la loi ou le respect de celle-ci nécessiterait un ajustement dans la pratique.»
Salutaire mise au point de la part de notre ministre qui, ainsi, dans un monde idéal où chacun échangerait de bonne foi (si j’ose dire) ses arguments, devrait mettre fin à une véritable entreprise de dénigrement de notre législation sur l’euthanasie. Chacun y gagnerait et la qualité du débat d’abord. Nous en avons tous plus que jamais besoin. Heureusement donc qu’un député fédéral se soit aussi promptement emparé de cette intervention des évêques de Belgique. Jean-Jacques Flahaut conclura d’ailleurs comme suit son interpellation parlementaire: «Je voudrais rappeler aux responsables religieux, et je suis chrétien, qu’en Belgique ce sont les représentants élus siégeant au Parlement, et eux seuls, qui, après consultation des professionnels de la santé et des garants de l’éthique, définissent la loi –et aucune autre autorité morale, de quelque chapelle qu’elle se revendique. Au final, vous confirmez que les déclarations des évêques de Belgique n’avaient pas lieu d’être.»
Rien à ajouter si ce n’est: merci Monsieur le Député pour ce beau plaidoyer en faveur de la laïcité.
(1) À titre d’exemple voir:
- le dossier de l’Institut européen de bioéthique «Euthanasie: 10 ans d’application de la loi en Belgique», mis en ligne sur www.ieb-eib.org en avril 2012,
- Xavier Mirabel, président d’Alliance VITA, dans «Dérive dramatique en Belgique: les sénateurs votent pour l’euthanasie des mineurs», communiqué de presse, 12 décembre 2013, mis en ligne sur www.alliancevita.org,
- «L’euthanasie dans nos hôpitaux risque de devenir non pas un problème d’éthique mais un problème budgétaire. La maîtrise des dépenses en soins de santé préconisée par certains gouvernants peut déboucher sur une loi qui favorise “l’euthanasie économique” et dont les premières victimes seraient les pauvres et les indigents.» Albert Guigui, «L’euthanasie: perspective juive», dans Fauzay Talhaoui (ed.) L’euthanasie dans les différentes religions et conceptions philosophiques, Yunus Publishing, 2013, p. 95.
- le site www.euthanasiestop.be.