Espace de libertés – Mai 2015

L’enseignement phénomène: vive l’école joyeuse!


École
Voici une réforme finlandaise qui va faire grincer pas mal de dents dans le très frileux landerneau éducationnel belge. Au diable les cours traditionnels, maths, français, sciences, géo… Vive l’enseignement phénomène! Désormais, l’école ne sera plus jamais «chiante»…

C’est le quotidien britannique The Independent qui a révélé le projet, repris par l’hebdomadaire Le Vif-L’Express. La Finlande s’apprête à passer la surmultipliée dans sa réforme de l’enseignement, avec la mise en œuvre d’une approche «phénomène», c’est-à-dire par objet (concept, métier ou choix de vie), en lieu et place de l’approche par matière. Selon Pasi Silander, directeur du développement à Helsinki, «les jeunes utilisent des systèmes informatiques assez poussés, ce qui change considérablement la donne. […] Nous devons donc faire les changements éducatifs qui préparent mieux les élèves aux exigences de la vie active moderne». Les cours traditionnels, tels qu’une heure d’histoire le matin et une heure de géo l’après-midi, ont d’ores et déjà été remplacés par des sessions thématiques par objet dans les écoles ayant déjà adopté le système transversal.

Évolution des mentalités

Un phénomène comme l’Union européenne, par exemple, va intégrer des éléments d’histoire, de langues, d’économie, de géographie et de politique. On retrouve un peu l’esprit de la méthode Decroly, qui travaille par association plutôt que par segmentation. L’étudiant d’une école professionnelle qui suit le phénomène «services de cafétéria» trouvera un package transversal intégrant des mathématiques spécifiques, les langues, l’écriture et la communication.

Ce n’est pas tout. Le changement de méthode entraîne aussi un changement des comportements. Adieu les rangées d’élèves assis passivement devant leur professeur, écoutant des leçons ou dans l’attente d’être interrogés. Place à une approche collaborative où les élèves travailleront en petits groupes en joignant leurs forces autour d’un objectif commun, tout en cultivant leurs compétences en communication.

«Nous avons vraiment provoqué une évolution des mentalités, se réjouit Pasi Silander. Il est malaisé d’amener les enseignants à adopter ce changement et à accomplir les premiers pas. Mais ceux qui l’ont franchi disent qu’il n’est pas question de faire machine arrière.» Environ 70% des enseignants de secondaire sont déjà formés à la nouvelle méthode.

Quant à la transition, elle s’opère graduellement et les premières évaluations sont très positives. Il s’est écoulé deux ans depuis l’introduction de la méthode phénomène et les résultats en termes de compétences utiles s’avèrent encourageants. Les écoles finlandaises sont désormais invitées à programmer chaque année une période d’enseignement fondé sur les phénomènes, qui peut s’étendre sur plusieurs semaines. À Helsinki, la réforme se fait au pas de charge et les établissements prévoient désormais deux de ces périodes par an.

La philosophie dans le couloir

Dans la pratique, comment cela se passe? Bienvenue à l’école primaire Siltamaki, à Helsinki. C’est une leçon d’anglais, mâtinée de géographie. Une carte d’Europe est affichée au tableau (blanc). Pour les élèves, il s’agit notamment de déterminer le temps qu’il fait dans les différentes régions. Ils apprennent donc l’anglais, la géographie et la météorologie en une seule séance, avec l’avantage d’une mise en pratique directe des connaissances acquises. C’est sans doute ce qui manque le plus dans l’enseignement traditionnel par matières… La directrice, Anne-Mari Jaatinen, explique la philosophie qui sous-tend le projet pédagogique: «Nous voulons que les élèves s’instruisent dans une atmosphère sécurisante, heureuse, calme et inspirée». De quoi faire rêver nos maîtres d’école dans leurs classes surpeuplées… Pendant ce temps, des enfants jouent aux échecs dans un couloir; d’autres se sont lancés dans un rallye à travers l’école pour récolter des informations sur les différentes régions d’Afrique. Pour Mme Jaatinen, c’est de l’»apprentissage joyeux». Revoici le bon vieux «gai savoir» cher à Friedrich Nietzsche. Comme quoi, tout finit toujours par de la philosophie. Et nous, quand est-ce qu’on commence?