Espace de libertés – Mai 2015

Un bilan mitigé pour l’environnement


Dossier
Le volet «environnement» des premiers objectifs du millénaire votés en 1995 comportait quatre points: le développement durable, la préservation de la biodiversité, l’accès à l’eau pour tous et enfin, la garantie d’un logement décent. Aujourd’hui, à l’aube de leur échéance, alors que le typhon Hagupit a sévi aux Philippines, que les émissions de CO2 ont augmenté de 98% et que l’agrobusiness impose sa loi dans toutes les forêts du monde, quel bilan peut-on en tirer?

Depuis le Sommet de Rio, la notion de développement durable est au centre de toutes les préoccupations environnementales. Mais si en 1992, les signataires du protocole étaient d’accord pour éliminer purement et simplement les modes de consommation non durables, les objectifs de l’ONU se contentent désormais de promouvoir les modèles durables, sans interdire vraiment ceux qui ne le sont pas. Pourtant, nos modes de consommation font des ravages. L’agrobusiness reste le grand responsable, mais derrière lui, c’est tout le système de surconsommation de nos pays industriels qui n’est pas suffisamment remis en question.

En décidant de répertorier la valeur de leur écosystème, les pays européens ouvrent la porte aux banques, ce qui risque à terme d’évoluer vers une marchandisation de la nature.

La biodiversité, un néologisme en voie de disparition?

Si l’ONU se réjouit de l’augmentation des zones de forêts protégées, la déforestation est loin d’être enrayée: 13 millions d’hectares de forêts ont disparu. La cause? Des ravages naturels, une forte urbanisation mais aussi les grandes mises en culture d’huile de palme et de soja, l’élevage intensif et le commerce du bois. Le constat est criant: il y a un déséquilibre énorme entre les personnes ayant accès aux ressources et celles qui les consomment. Pourtant, comme le rappelle Greenpeace, la forêt abrite la moitié des espèces terrestres, elles aussi en danger de disparition. Et si les zones maritimes protégées ont également augmenté, la pêche industrielle continue à menacer la biodiversité marine.

Gaz à effet de serre: le flou législatif

Un constat positif cependant: les émissions de gaz responsables de la diminution de la couche d’ozone ont baissé de 98% depuis le protocole de Montréal en 1987 qui les a purement et simplement interdites. Une demi-victoire, plus exactement, car dans le même temps, les émissions de CO2 qui ont une influence directe sur le climat ont quasi doublé. Certes, la plupart des entreprises européennes ont diminué leur consommation d’énergies fossiles; en revanche, les émissions des pays émergents ont, elles, monté en flèche. Et rien n’augure de grandes modifications dans l’avenir: lors du sommet de Lima, qui s’est tenu en début d’année, la Chine et l’Inde ont veillé, en accord avec les pays producteurs de pétrole, à ce que les diminutions d’émissions ne soient pas trop drastiques… Si le secteur du bâtiment enregistre une légère hausse de ses émissions, celui des transports explose véritablement. Enfin, la déforestation reste la seconde cause des émissions de gaz à effet de serre.

L’accès à un logement décent: une urgence humanitaire

La cible a été atteinte bien avant la date-butoir, le nombre d’habitants de bidonvilles passant de 39% en 2000 à 33% en 2012. Mais la disparition d’une grande partie des bidonvilles existants a fait place à de nouveaux logements précaires, conséquence d’une urbanisation galopante conjuguée à l’augmentation de la population mondiale. Parmi les victimes de cette tendance, les agriculteurs des pays en développement, chassés de leurs terres par les multinationales. Aujourd’hui, l’ONU estime à environ 863 millions le nombre de personnes habitant dans des taudis dans le monde. Et si rien ne change, ce sera environ un tiers de la population mondiale qui risque de vivre dans des logements précaires d’ici 2030.

L’eau pour tous… mais à quel prix?

C’est un des objectifs dont le résultat a dépassé les attentes. Selon l’OMS, le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau a chuté de 23% il y a 20 ans à 11% aujourd’hui. Les régions qui ont enregistré une évolution significative sont l’Asie de l’Est et l’Afrique subsaharienne. Mais cette région reste très fragile: sa population est en augmentation et l’on constate de grandes disparités entre les zones urbaines et les zones rurales. La qualité de l’eau nécessite également une attention toute particulière: trop de gens ont encore accès à une eau douteuse, voire carrément dangereuse. Pour être considérée comme potable, l’eau ne doit pas être partagée avec les animaux et surtout, être suffisamment protégée des déjections. L’assainissement de l’eau compte d’ailleurs parmi les priorités des nouveaux objectifs d’après 2015. Enfin, une résolution de l’ONU a été votée en 2013, appelée «Des sanitaires pour tous» afin d’améliorer d’urgence l’accès à de «vraies» toilettes.

Des OMD aux… ODD

À l’heure de l’élaboration des textes pour les nouveaux objectifs pour le développement durable (ODD), Brigitte Gloire, spécialiste en la matière chez Oxfam Solidarité, insiste sur le manque de moyens mis en œuvre: «Tant que les modes de consommation des pays riches persisteront, les incohérences continueront: à quoi bon essayer de préserver les semences locales si, dans le même temps, on continue à proposer des modèles d’agriculture qui favorisent la disparition de certaines espèces? En décidant de répertorier la valeur de leur écosystème, les pays européens ouvrent la porte aux banques, ce qui risque à terme d’évoluer vers une marchandisation de la nature. Alors qu’on sait qu’il faut absolument revenir à une économie locale pour garantir des modes de consommation durable, l’Union européenne persiste dans son investissement en faveur du commerce mondial… Les objectifs veulent atteindre des résultats sans réellement pénaliser ce modèle économique actuel. Je résumerais ces ODD comme étant de bonnes intentions qui ne se donnent pas les moyens de les mettre en pratique.»

Un point positif cependant: les nouveaux objectifs, qui passent de 8 à 17 et dont l’échéance arrivera en 2030, concernent également les pays du Nord. Car la pauvreté, ce n’est plus seulement l’affaire du Sud.