Le remplacement des avions F-16 par l’armée belge pose la question de notre implication dans une potentielle guerre atomique. Et si le plat pays déposait les armes et optait pour une défense populaire et civile non violente? Petit exercice d’anticipation avec, en ligne de mire, la démilitarisation progressive.
Comme objecteur de conscience, je refuse d’obéir à des ordres qui m’obligent à tuer autrui ou à participer à des actions de guerre. C’est pourquoi j’ai effectué un service civil en remplacement du service militaire, à l’époque où la conscription était encore en vigueur en Belgique. Idéalement, je serais heureux que la Belgique, à l’instar du Costa Rica, n’ait plus d’armée. Mais on sait qu’une telle évolution n’est pas simple à réaliser, car nous faisons partie d’un complexe militaro-politico-économique international. Réussir un changement de cap dans ce domaine est un travail à long terme qui devra se faire par étapes. Même s’il y avait une large volonté politique –aussi bien des électeurs que de leurs élus– pour s’engager dans une voie de démilitarisation et de politique de paix, le processus aboutissant à une défense populaire et civile non violente serait graduel.
OTAN en emporte la souveraineté
Quel concept d’armée de transition peut-on imaginer? Tout d’abord, la Belgique devrait se retirer de l’OTAN et organiser une armée nationale avec vocation de participer aux missions de l’ONU ou de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (1), ou d’appui à des missions humanitaires, même quelquefois extrêmement dangereuses. Certes, le fait d’être membre de l’OTAN ne nous empêche pas de coopérer avec l’ONU, mais cette organisation militaire est dominée par les États-Unis qui s’en servent dans le cadre de leur géopolitique et pour la défense des intérêts de leur industrie militaire. Par ailleurs, l’OTAN met ses États membres sous pression afin qu’ils augmentent les budgets militaires à travers des processus de décision peu transparents et impliquant peu ou prou le régime parlementaire.
Certes, une décision de se retirer de l’OTAN sera encore plus difficile pour un pays comme la Belgique qui abrite son siège et l’état-major du SHAPE (le centre de commandement militaire des forces de l’OTAN en Europe, NDLR). D’autres pays de l’Union européenne ne sont cependant pas membres de l’OTAN: l’Autriche, Chypre, la Finlande, l’Irlande, Malte et la Suède. Ceci ne les empêche pas de tisser des liens d’amitié et de coopération avec les États-Unis, tout en gardant leur souveraineté nationale.
La fleur au F-16
Pourrait-on rester membre de l’OTAN tout en ayant une armée fondée sur une stratégie non nucléaire et avec une vocation de démilitarisation progressive? Ceci semble difficile dans l’état actuel de la politique de l’OTAN. La Belgique est confrontée, comme d’autres pays, à la question du remplacement des avions de combat F-16, dans un contexte budgétaire d’austérité. Les avions F-16, et ceux appelés à les remplacer, sont spécialement équipés pour le largage de bombes nucléaires. Refuser ce type d’avions, c’est refuser de s’impliquer dans la guerre atomique et la destruction massive de populations civiles. Par ailleurs, ces avions sont conçus pour des opérations à longue distance; les posséder entraîne le risque de les mettre au service d’opérations de guerre en dehors du territoire européen (par exemple en Libye ou en Irak). Ne pourrait-on limiter la Composante air (ancienne Force aérienne belge, NDLR) à quelques avions d’interception à faible rayon d’action et adaptés au territoire national ou européen; aux avions de transport à usage multiple du type C-130 qui ont participé efficacement à des missions humanitaires, comme les largages de vivres pendant la famine au Sahel; aux hélicoptères d’observation et de sauvetage en mer? L’armée belge ne devrait-elle pas persévérer dans ses spécialités que sont le déminage terrestre et le déminage maritime? Mais le gouvernement actuel NVA-libéral-CD&V s’engage dans la voie contraire, et rappelle nos démineurs du Liban.
Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.
Guillaume le Taciturne
Une nouvelle forme de défense
Épargner sur le remplacement des F-16 permettrait notamment d’investir davantage dans la défense des systèmes informatiques et des cyberattaques, qui représentent un défi pour notre économie et notre société dont le fonctionnement est de plus en plus fondé sur la gestion informatique. L’organisation de cette défense informatique devrait protéger l’ensemble des activités de l’État et de tous les secteurs de l’économie, et pas seulement se limiter à la protection des systèmes informatiques militaires. Il faut de toute façon inverser radicalement les perspectives «imposées» par l’OTAN qui visent à doubler notre budget militaire d’ici 2030.
Certes, le dossier de l’achat des avions remplaçant les F-16 fera l’objet d’un lobbying intense de la part des milieux industriels, et peut-être même de certains secteurs syndicaux, et on sait que le complexe militaro-industriel possède des capacités de pression considérables –qu’ils soient légaux ou illégaux– tels les nombreux faits de corruption que nous avons connus lors de commandes militaires précédentes (celui des hélicoptères Agusta par exemple).
Il est donc important qu’un large débat parlementaire et citoyen puisse avoir lieu sur le remplacement des avions F-16 et, plus largement, sur la stratégie de défense, dans le cadre d’une nouvelle politique étrangère belge qui mette davantage la priorité sur la prévention des conflits, sur la coopération internationale et sur une capacité renforcée à mener une diplomatie de paix proactive, aussi bien dans le cadre de l’UE que de l’ONU.
(1) Je n’aborderai pas ici le débat sur la défense européenne, car ceci mérite un développement plus long.