Espace de libertés – Février 2015

Bruxelles: dessine-moi une ville


Libres ensemble

Qui mieux que Christian Vandermotten pouvait, en un petit ouvrage particulièrement ramassé, brosser le portrait d’une ville-région comme Bruxelles? Professeur à l’ULB, membre de la classe des Lettres de l’Académie royale de Belgique, urbaniste et géographe, il fut l’auteur de nombreux rapports d’expertise et de publications sur cette ville.


Avec Bruxelles, une lecture de la ville, l’urbaniste dresse un portrait-robot de cette cité qui ne s’arrête pas aux 161 km² de la région, mais s’insère dans une zone métropolitaine qui n’a pas d’existence officielle ni de reconnaissance politique mais qui ne fait que croître. Des institutions qui la composent aux habitants qui l’occupent, et de ceux qui ont préféré la quitter pour s’installer dans cette zone, sans oublier de rappeler que tout a été fait dans certaines paroisses du Pajottenland et de l’est de la Flandre-Orientale, au XIXe siècle, pour que les ouvriers locaux reviennent bien au village le soir au lieu de s’installer dans ce lieu de perdition –rouge et de plus en plus francophone– qu’était la capitale de cette jeune Belgique. D’où la création des Boerentrams et des tarifs ouvriers, bientôt appliqués aux employés. Oserait-on dire le début du phénomène des navetteurs et l’origine des problèmes de mobilité actuels.

Retards record

L’auteur se penche sur différents problèmes propres à cette petite ville mondiale, comme l’actuelle reprise démographique observée depuis 1990 dans cette région prospère connaissant des phénomènes de gentrification –par ailleurs peuplée d’habitants pauvres aux origines diverses et en grand déficit de logements sociaux. Plusieurs tableaux et graphiques permettent de mieux expliquer le propos.

Christian Vandermotten rappelle comment la ville s’est dessinée, marquée par la lutte entre l’État (Palais de justice), l’aristocratie (place Royale) et la bourgeoisie (boulevards du centre), chacun voulant marquer son territoire, avec des retards souvent considérables, pas uniquement dus aux deux guerres mondiales comme pour la jonction Nord-Midi (1903-1952). Dans des quartiers plus périphériques, les travaux urbanistiques furent entrepris à l’initiative de Léopold II.

La topographie de la ville et de la région fut pour beaucoup dans l’installation de certaines strates de la population: les ouvriers et le petit peuple dans le bas de la ville, humide, et la bourgeoisie et l’aristocratie dans le haut de la ville, plus agréable. L’auteur se balade de siècle en siècle pour détailler tel ou tel bâtiment, plutôt représentatif de tel groupe (État, ville, bourgeoisie libérale, souvent franc-maçonne), précisant qu’à chaque époque, untel prend le pas sur les autres.

Cités-jardins

Le XIXe siècle marque aussi la volonté d’agrandir la capitale vu son développement très rapide et l’afflux de main-d’œuvre ouvrière. D’où la construction de quartiers ouvriers, d’abord dans le cœur de la cité, puis dans les faubourgs de l’ouest, alors que la bourgeoisie privilégie l’est. Le premier faubourg résidentiel fut ainsi le faubourg Léopold, quartier dédié à l’aristocratie et à la très haute bourgeoisie.

Christian Vandermotten rappelle encore le phénomène des cités-jardins, très en vogue à partir de 1920, un concept venant d’Angleterre. Il résulte d’un compromis entre les vues catholiques –accès à la propriété – et socialistes –développement du logement locatif de qualité à bon marché. Ici aussi, les cités-jardins de l’ouest étaient ouvrières, celles de l’est plutôt occupées par des petits employés et des fonctionnaires.

L’aménagement et les projets de développement forment le dernier chapitre qui souligne toujours les oppositions politiques et idéologiques, avec l’apparition des grands immeubles et le projet Manhattan des années 60-70. La Région de Bruxelles-Capitale mise en place en 1989 initia des plans régionaux de développement (PRD), une sorte de manière de s’affirmer par rapport aux communes et à l’État. Depuis, il y eut le plan régional d’affectation du sol et les contrats de quartier et les quartiers d’initiatives, invitant propriétaires et habitants à retisser des liens sociaux et culturels. Le dernier PRD en date, de 2013, s’est vu affublé d’un deuxième D pour durable alors que les défis auxquels Bruxelles est confrontée semblent de plus en plus complexes.