Espace de libertés – Février 2015

Un Dieu diaboliquement irrévérencieux


Arts

Ainsi, il y eut une BD et il y eut une pièce. Dans l’ « intégrââl » de « La nostalgie de Dieu », bande dessinée du Belge Marc Dubuisson adaptée au théâtre et actuellement sur les planches parisiennes dans une nouvelle version, le dieu des catholiques prend les traits d’un personnage tout aussi invisible qu’imbuvable. Hérétiquement drôle!


C’est qu’il a de quoi être nostalgique et désabusé au point de ne même plus croire en lui, Dieu. Depuis Adam et Ève, ils lui en ont fait voir, les humains! « Au début, vous n’étiez que deux, c’était plus ou moins gérable. Et encore, la greluche a quand même réussi à bouffer le fruit jusqu’au trognon!… Alors excuse-moi mais depuis ça, ça baise comme des lapins (« procrée comme des lapins », pour reprendre les propos du pape François qui a récemment dressé le même constat), ça se retrouve à 6 milliards d’énergumènes et ça fait que se taper sur la gueule. Donc bon, au fil des siècles, j’ai dû me résoudre à prendre du recul. Y’a pas écrit “Super Nanny” non plus… »

Voici donc « un Dieu auquel seul Charlie Hebdo aurait pu nous préparer ». Je-m’en-foutiste, acerbe et carrément vulgaire, le Saigneur écorche tout sur son passage: les religions et leurs représentants (citant Marx, Dieu n’a « rien contre les drogués » mais ne peut pas « blairer les dealers ») avec une attention particulière pour les positions rétrogrades de l’Église catholique et du pape, il moque la Bible et les prescrits religieux, et raille l’humanité tout entière, la questionnant sur son libre arbitre: « Loin d’être le berger de moutons que l’on attend », le Dieu athée de Marc Dubuisson « pousse, avec le bâton du cynisme, l’être humain à prendre en main son destin et ses responsabilités. »

Oxymore de rire

« L’envie d’écrire La Nostalgie de Dieu m’est venue suite aux articles de Charlie Hebdo lors de l’affaire des caricatures », écrivait Marc Dubuisson le 7 janvier dernier. « Jamais je ne pourrai assez rendre hommage à ces dessinateurs qui refusaient de voir le sacré et l’obscurantisme primer sur l’humain. Aujourd’hui, plus que jamais, continuons ce combat pacifique. Oxymore de rire. » Il se raconte que comme il est Belge, il a été obligé de faire de la BD alors qu’il voulait être président la République. Et qu’à part ça, il aime aussi Philéas et Autobule et les fraises.

Dialoguiste dans l’âme, Marc Dubuisson, l’âge du Christ-1, se tourne vers le dessin en 2005 et entame un blog sous le pseudonyme d’ « Unpied » (dans le plat, sûrement). Il a ainsi commencé à scénariser et dessiner les planches qui formeront le premier volume de La nostalgie de Dieu (Diantre!, 2009), dialogue hilarant –au rythme d’une vanne par page, on passe vite du sourire à la franche rigolade teintée de noir– entre un dépressif suicidaire et une voix venue d’outre-case qui, dès le début, tente de fermer le caquet du petit geignard par un tonitruant « Ta gueule! ». Récompensé par le Prix du meilleur premier album des lycéens picards lors des Rendez-vous de la BD d’Amiens en 2010, il publie, la même année, Le complexe de Dieu dans lequel l’Être suprêmement déprimé se retrouve sur le divin divan d’un psy (qui a beau arborer un nœud papillon, on est sûr d’avoir reconnu les lunettes d’Elsa Cayat (1)). Viendra enfin la fameuse « intégrââl » reprenant les deux tomes précédents complétés par Le retour de Dieu, avec Jean-Claude dans le rôle du nouveau Messi(e) et un Dieu créateur de monde qui, cette fois, se lance dans une nouvelle collection création, histoire de ne pas rester sur l’échec de l’ancienne.

Dieu est humour

Les deux premiers tomes ont tellement plu à Laëtitia Grimaldi de la compagnie française Not me tender qu’elle n’a pu résister à la tentation de les monter en pièce satirique. Quelques tentatives d’intimidation, probablement orchestrées par Civitas (affiches déchirées et barrées de slogans du genre « Tu n’aimerais pas que je fasse ça à ta mère, alors ne fais pas ça à mon Christ » ou « Non à la christianophobie » à Paris en 2011), n’ont pas entaché son succès: après 200 représentations, deux festivals d’Avignon et une tournée en province, la compagnie a remis le couvert à Paris cet hiver avec une nouvelle version du spectacle incluant le troisième tome.

Au croyant qui n’en revient pas que l’Éternel absent cautionne les atrocités qui ont cours sur terre, le Dieu de Marc Dubuisson répond: « Ça, c’est bien votre arrogance typique, tiens! Dans le genre “extinction d’espèces”, vous n’être pas des tendres, non plus!… Quand, il y a quelques siècles de cela, vous avez exterminé tous les dodos jusqu’au dernier, ça ne vous a pas empêché de dormir! Ha Ha! C’est bien le cas de le dire! Vas-y, note: “Dieu est humour.” » Et Marc Dubuisson, un sacré démiurge.

 


(1) Psychanalyste et chroniqueuse à Charlie Hebdo, elle a été assassinée le 7 janvier dernier.