Espace de libertés – Février 2015

Politique culturelle: le point de vue institutionnel


Dossier

Une interview de Joëlle Milquet

Subsides, priorités, stratégie… Quelle vision politique pour la culture en Wallonie et à Bruxelles? Éléments de réponse institutionnelle avec Joëlle Milquet, Vice-présidente du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et ministre de l’Éducation, de l’Enfance et de la Culture.


Espace de Libertés: Selon vous, existe-t-il une définition fédératrice de ce qu’est la culture?

Joëlle Milquet: Une définition fédératrice signifierait qu’il existe une sorte de vérité culturelle partagée par tous. Je ne pense pas que cette définition existe. La culture est le fruit d’idées, d’émotions, de découvertes, de pratiques et d’usages, partagés ou non, qui constituent le fondement de toutes les sociétés humaines, l’âme de toute civilisation. La dimension fédératrice consiste avant tout à reconnaître l’importance de cette dimension, à être curieux, attiré par le «beau», sensible aux émotions ou au sens exprimés par la musique, la danse, la littérature, la peinture, le spectacle, etc. Malgré la diversité des cultures, il y a, à travers elles, ce point de rencontre fédérateur entre les êtres qui ressemble à l’ADN intérieur de l’espèce humaine.

Quel est, selon vous, le rôle des pouvoirs publics vis-à-vis de la culture et de l’expression artistique en particulier?

Le politique n’est pas là pour dicter ce qu’elle doit être, mais simplement pour faire en sorte qu’elle soit, de manière libre et émancipée! Certains vous répondront que les pouvoirs publics servent avant tout à financer les initiatives des acteurs du monde artistique. Certes ce rôle est important, mais il ne doit pas occulter l’autre face de ce pouvoir qui consiste d’abord à rendre possible cette expression en l’accompagnant en la faisant émerger, mais aussi en rendant l’expression artistique accessible au plus grand nombre soit comme acteurs ou comme spectateurs, lecteurs ou autres «utilisateurs» de culture.

Pourriez-vous définir, en quelques mots, la politique culturelle prévue par le gouvernement de la FWB?

Mieux soutenir la création et les artistes, simplifier et moderniser le paysage culturel et adapter notre offre culturelle aux enjeux du XXIe siècle.

Quelles seraient les conditions à réunir pour que la culture et les arts soient un vecteur d’émancipation des citoyens?

La démocratie culturelle sera également au centre de mon action. D’abord en renforçant la place que doivent prendre la culture et les arts dans le monde scolaire, mais aussi, plus globalement, en renforçant l’accessibilité et la sensibilisation des publics les plus défavorisés, la décentralisation des lieux de diffusion, l’intégration de la révolution numérique, etc.

À qui appartient-il de faire en sorte que ces conditions soient réunies?

C’est le rôle des institutions publiques, mais aussi culturelles. La culture n’est pas un privilège hermétique pour certains happy few et être populaire ou avoir du succès citoyen n’est pas une injure… ou nécessairement synonyme de nivellement par le bas.

On subventionne beaucoup d’initiatives culturelles, mais la plupart des artistes et des créateurs ont le sentiment que cette aide ne leur profite pas, que ce sont surtout des structures de diffusion qui en bénéficient. Seriez-vous partisane d’un système de subvention en vertu duquel le pouvoir subsidiant aiderait les créateurs bénéficiaires par l’acquisition d’œuvres, selon une convention préétablie entre les parties?

C’est un engagement que j’ai pris dès le début de mon mandat: infléchir les moyens alloués aux grandes institutions culturelles pour que les créateurs en soient les premiers bénéficiaires. Il n’est pas normal que l’artiste soit toujours le dernier à être aidé et reconnu alors qu’il est le maillon dont le monde culturel ne pourrait absolument pas se passer.

Pensez-vous que la culture constitue un marché capable de s’autoréguler?

Il s’agit, et il faut y veiller, d’un marché très particulier puisqu’on touche à des éléments qui n’ont –littéralement– pas de prix. L’œuvre culturelle ne peut jamais être considérée comme un service ou un objet comme un autre. Je suis une grande partisane de l’exception culturelle, ce qui ne signifie pas que l’on ne doit pas investir intelligemment dans les économies créatives et culturelles.

De nombreuses études brandies par les professionnels de la culture semblent indiquer qu’il s’agit d’une source importante de revenus directs et de retombées indirectes (tourisme, par exemple). D’autres estiment que la culture est l’essence, le ferment et le ciment d’une civilisation. Pourquoi a-t-on coutume de sabrer les budgets de la culture avant tout autre subvention, celles allouées à l’économie privée ou au sport par exemple?

Une étude commandée par le Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (GESAC) à Ernst&Young a démontré le poids économique du secteur culturel et créatif en Europe. L’industrie culturelle et créative (journaux, magazines, livres, musique, spectacles, télévision, radio, cinéma, jeux vidéo, arts visuels, architecture, publicité) pèse 535,9 milliards d’euros, soit 4,2% du PIB européen en 2012 et emploie 7,1 millions de personnes, ce qui en fait le 3e employeur de l’Union européenne, derrière la construction et l’Horeca. En ce qui concerne la Fédération Wallonie-Bruxelles, le budget est en augmentation et les mesures de maîtrise minimes. Je rappelle à ce titre que si on compare chez nous les efforts demandés avec ceux qui ont été imposés en Flandre, au niveau fédéral, ou si on les compare au niveau européen, la culture en Belgique francophone a été protégée. C’était ma volonté!

 


Cette interview a été réalisée par courriel. D’où le manque de réactivité quant aux réponses, les questions étant posées à l’avance toutes ensemble; ce qui donne un caractère général assez figé dont le lecteur voudra bien nous excuser.