L’article de M. Jean-Philippe Schreiber sur l’antisémitisme, paru dans le dernier numéro d’Espace de Libertés sous le titre «Le Belge n’a rien contre les juifs, mais…» a suscité bien des remous.
De la part de l’auteur d’abord, à qui nous présentons nos excuses d’avoir changé son titre pour le rendre plus attrayant.
De la part des lecteurs ensuite, dont nous publions ci-dessous les réactions.
La teneur de l’article de Jean-Philippe Schreiber, intitulé «Le Belge n’a rien contre les juifs, mais…», paru dans le numéro de janvier 2015 d’Espaces de libertés, nous interpelle.
Il est correct de dire que la Belgique «connaît une libération de la parole antisémite» et que les réseaux sociaux convoient les «idéologies les plus abjectes» dont «les juifs […] sont, comme d’autres, les victimes privilégiées». Il est cependant regrettable que l’auteur ne se livre pas à une analyse impartiale et objective de ces abus, car il ne revient que dans la conclusion de l’article sur les attaques dont ces «autres» font l’objet. Nous partageons le point de vue qu’il exprime là, selon lequel «notre continent est raciste» et «judéophobe», mais encore bien plus «antimusulman et xénophobe». Sauf dans son dernier paragraphe, qui –répétons-le– a notre aval le plus entier, il ne sera plus question dans l’article que d’antisémitisme.
La phrase selon laquelle «la cause palestinienne cristallise chez certains une identification exacerbée avec les victimes de la brutalité militaire israélienne –les images de Gaza sous les bombes ont eu un pouvoir de réaction phénoménal– , entraînant chez d’aucuns la conviction que ce martyre est aussi le leur, qu’ils sont aussi les victimes d’Israël et, par extension, des juifs» est profondément blessante pour tous ceux qui, comme nous, en connaissance de cause, condamnent avec la plus grande fermeté l’occupation de la Cisjordanie et l’étranglement de la bande de Gaza par l’État hébreu et les exactions de son armée envers la population. Nous rejetons avec cette même fermeté l’accusation d’antisémitisme formulée à notre égard comme étant sans fondement aucun. Pareille attitude dénote dans le chef de l’auteur une «indistinction» entre l’opposition déclarée à la politique menée depuis 1967 par un certain État –que nous revendiquons– et une aversion pour le groupe ethnique formant le gros de sa citoyenneté –qu’en tant qu’humanistes nous avons combattue et continuerons à combattre avec détermination. Nous ne soutenons aucunement les partisans d’une «négation de l’existence d’Israël» mais ne tolérons pas que des commentaires critiques concernant des faits vérifiés soient assimilés à un «discours judéophobe». Nil humani alienum.
Un collectif de signataires sous la conduite de Jean-Jacques Amy
Réponse de l’auteur:
Quelquefois, l’émotion étrangle à ce point le lecteur qu’il en oublie de lire ce qui est écrit, et ne veut plutôt voir dans un texte que ce qui peut éveiller ou conforter son émotion. Ai-je écrit que la critique des violations des droits humains par Israël est symptomatique d’une forme antisémitisme? Bien sûr que non. Observant l’antisémitisme en Belgique, j’ai tenté de démontrer que pour certains judéophobes, l’animosité envers les juifs qu’ils manifestent était notamment motivée par leur lecture du conflit israélo-palestinien. Est-ce à dire que tous ceux qui «condamnent avec la plus grande fermeté l’occupation de la Cisjordanie et l’étranglement de la bande de Gaza par l’Etat hébreu et les exactions de son armée envers la population» sont antisémites? Non, bien entendu, sinon je serais antisémite moi aussi. Il faut quelquefois savoir raison garder…
J.-P. S.
Monsieur le rédacteur en chef,
Je vous écris à propos de l’article de M. Schreiber dans le dernier numéro d’Espace de Libertés.
Si j’entends bien le propos de l’auteur, l’antisémitisme serait en recrudescence, mais ni plus ni moins que les autres formes de racisme et, notamment, celui qui s’exerce à l’égard des populations de culture musulmane.
Loin de nier que cette dernière fait l’objet de discriminations souvent insupportables et indignes de notre démocratie, il me semble que par cette prise de position, M. Schreiber tente de minimiser le phénomène antisémite qui sévit dans nos contrées. Aucune autre «communauté» n’a fait récemment l’objet d’autant d’agressions, meurtres, assassinats, viols, profanations que les Juifs. Tant en Belgique qu’en France, comme plusieurs commentateurs se sont donné la peine de le répertorier, ces actes injustifiables se sont multipliés et vont nettement plus loin dans l’horreur que n’importe quel autre acte raciste dans les pays d’Europe occidentale.
Mon but n’est ni d’ouvrir une vaine polémique ni d’organiser une surenchère dans l’horreur quant à savoir qui est le plus visé par le racisme; qu’il me soit seulement permis de signaler qu’en tant qu’historien des religions, l’auteur de l’article m’a semblé bien plus frileux que ne l’a été le CAL récemment dès lors qu’il s’agit de désigner l’antisémitisme par son nom et dans toute la mesure de sa résurgence. C’est au prix d’une juste analyse de ces phénomènes que pourront, aussi, se construire la paix des peuples et le vivre ensemble.
J.-P. L.