Espace de libertés – Février 2015

Entre la culture et la télévision, ce fut souvent un remake des « Meilleures ennemies ». Avec, dans les deux rôles principaux, les résultats d’audience, face à des émissions nécessaires mais pas toujours très suivies. Pour autant, la suppression de « 50 Degrés Nord » de la grille des programmes de la RTBF ne signifie pas que la télé de service public méprise la culture dans son ensemble. Ce serait trop simple… et surtout très réducteur.


« Si chaque personne qui nous reproche la suppression de “50 Degrés Nord” avait regardé l’émission ne fut-ce qu’une fois dans sa vie, nous aurions cartonné en termes d’audience », nous lance, révulsé par l’hypocrisie ambiante, ce (très) proche de l’administrateur général de la RTBF Jean-Paul Philippot. « Nous n’avons pas supprimé une émission culturelle, nous avons supprimé une mauvaise émission tout court. Un programme qui avait fini par se regarder le nombril. »

Il ne nous appartient pas ici d’apporter une opinion au sujet d’une émission de toute façon défunte. Mais bien de remarquer que la suppression de « 50 Degrés Nord » a surtout rouvert bien grand le fossé entre une partie du monde culturel et le service public. Alors que cette décision, d’abord de nature économique, ne permet pas d’en déduire que la vénérable RTBF ne veut plus de la culture sur ses ondes. « La culture a toujours exacerbé les passions », pointe-t-on dans le paquebot de Reyers. « Quand nous décidons de ne pas surenchérir sur les droits de la Champions League de foot, personne ne nous accuse de détester le sport. Par ailleurs, il faut comprendre que nous vivons aussi en partie de la publicité. Et que si une émission est très peu regardée, elle n’attirera pas d’investissements publicitaires susceptibles de faire entrer un peu d’argent dans les caisses. »

Les lois de l’audimat

Pour l’année 2014, toutes sortes de chiffres ont circulé quant au nombre de téléspectateurs devant « 50 Degrés ». La « vraie » fourchette de situant visiblement entre 10 et 15.000 personnes par jour, au maximum. C’est-à-dire objectivement très peu. « Pour autant, nous ne réfléchissons pas uniquement en termes de chiffres. D’autres émissions culturelles, comme “Livrés à domicile”, font à peine mieux. Mais ont trouvé leur réel créneau. »

Cependant, on ne fera jamais l’économie de la question corollaire: est-ce le rôle d’une télévision de service public de se centrer sur les émissions récoltant quand même un minimum d’audience? « On peut le déplorer, mais c’est bel et bien le cas », constate Frédéric Martel, sociologue français spécialisé dans la culture et les médias. « Il ne faut pas perdre de vue que l’un des objectifs du service public est de favoriser la découverte culturelle. Mais il ne faut pas oublier non plus que la télévision a vocation à être regardée. Pour les événements culturels trop ciblés, d’autres supports existent. Je pense par exemple au web… » Déclaration pour le moins prophétique. Puisqu’une partie de l’ex-équipe de « 50 Degrés Nord » vient d’annoncer la création d’une plate-forme culturelle sur internet (1). Et puis, de manière plus générale, un des torts, sans doute, des analyses sur la diminution de la culture à la télévision est la recherche de fautifs. Qui porterait donc la responsabilité de l’avilissement de la télévision, laquelle promettait pourtant la culture dans tous les foyers, tel un nouveau robinet en plus de ceux de l’eau, du gaz et de l’électricité?

Vers une TV de qualité

Une des alternatives, plus constructive, serait de réfléchir, plutôt qu’à la « télévision culturelle », à une « télévision de qualité ». Car, parler de télévision culturelle, c’est proposer une entrée par le contenu, et mettre en avant un genre de programme bien identifié; « télévision de qualité », au contraire, étant un vocable plus large. Ne serait-il donc pas plus pertinent de reprendre l’observation de l’évolution en s’intéressant, plus largement, à cette « télévision de qualité »? Invariablement, le débat tournerait alors globalement autour des missions de service public. Ce qui permettrait une réflexion plus large, moins stérile. Et, surtout, dépassionné. Condition idéale pour concevoir, à tête reposée, des pistes d’avenir. Pour que la télé et la culture se susurrent « Je t’aime moi aussi » le plus souvent possible…

 


(1) Voir le site www.az-za.be