Espace de libertés – Février 2015

Un import-export « made in Belgium »


International

De jeunes Belges partent pour le jihad. Dans le camp d’en face, ce sont des sympathisants de la cause pro-kurde qui rejoindraient les combats. Un jour pourtant, ils reviennent au pays. La guerre est une activité proche de l’import-export.


Le 26 septembre dernier, une majorité sans appel de députés a voté à la Chambre une résolution autorisant le gouvernement, alors en affaires courantes, à partir en guerre contre les jihadistes de l’État islamique au soleil levant en Irak. Par 114 voix pour, 2 contre et 10 abstentions, la résolution demandait au gouvernement belge de participer activement «pour un mois» à la lutte internationale contre l’EI dans le respect de l’article 51 de la Charte des Nations unies –qui autorise la légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un État membre de l’ONU fait l’objet d’une agression armée.

Depuis, cette mission s’est prolongée sans que grand-monde ne s’en émeuve. Les six F16 et les 120 hommes envoyés en Jordanie pour lutter contre Daesh s’y trouvaient toujours début 2015. En revanche, dès septembre, il ne fut plus question d’envoyer des forces spéciales pour former et assister les troupes irakiennes ou les peshmergas (combattants, NDLR) kurdes. Ces mêmes peshmergas qui, avec l’appui de la coalition internationale, allaient donner du fil à retordre à l’État islamique dans la ville syrienne de Kobané.

Classiquement, lorsqu’une guerre éclate au Proche et au Moyen-Orient, les Occidentaux craignent qu’elle ne s’importe via l’immigration issue des pays touchés par les combats. Il en va ainsi régulièrement du conflit israélo-palestinien. Et il en va de même aujourd’hui avec les jihadistes qui ont rejoint Daesh. Comme ses homologues occidentaux, le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders a émis plusieurs fois la crainte de voir ces jeunes Belges revenir, le cerveau littéralement grillé par le fondamentalisme musulman, avec l’intention de perpétrer des attentats terroristes contre leur propre pays. Les massacres parisiens de janvier (Charlie Hebdo et la prise d’otages de la porte de Vincennes) ont cruellement confirmé ce pronostic, même si ici c’est Al-Qaida qui est visé.

Et les Kurdes? Le 26 novembre dernier, la RTBF évoquait un «phénomène nouveau, tout aussi inquiétant: de plus en plus de citoyens européens et américains veulent aider les combattants kurdes à lutter contre l’État islamique». Pour la radio publique, leur recrutement se fait sur les réseaux sociaux: «Depuis quelques jours, les mêmes photos circulent sur des pages Facebook et sur Twitter. On y voit des hommes, occidentaux, habillés en treillis, armes à la main. Ils sont présentés comme des volontaires ayant choisi de rejoindre les combattants kurdes à Rojava, en Syrie, pour combattre l’État islamique. Ils seraient venus d’Allemagne, des Pays-Bas, des États-Unis ou encore du Canada».

#Peshmerga, #PKK» et #YPG

Mieux vaut vivre un seul jour comme un lion que des milliers de jours comme une brebis

Plusieurs hashtags –notamment #Peshmerga, #PKK et #YPG– relaient ces messages. «YPG», pour le Parti de l’union démocratique kurde qui a créé une branche armée nommée «les unités de protection du peuple», lesquelles ont été engagées contre Daesh à Kobané. Sous l’une des photos montrant des Occidentaux en treillis, on peut lire en légende: «Mieux vaut vivre un seul jour comme un lion que des milliers de jours comme une brebis». Ce site lance un appel aux bénévoles pour «envoyer les terroristes en enfer et sauver l’humanité». Illégal? Le Parquet fédéral estime que partir en Syrie aux côtés des combattants kurdes n’est pas considéré comme un délit, l’Unité de protection du peuple n’étant pas définie comme un groupe terroriste. Belges du jihad versus Belges proches de la cause kurde: les idéologies mises entre parenthèses, ce conflit qui voit des jeunes d’un même pays épouser des causes aussi lointaines qu’antagonistes n’est pas sans rappeler la guerre civile d’Espagne.

A-t-on la preuve que des jeunes Occidentaux sont bien allés rejoindre la branche armée de l’YPG, s’interrogeait encore la RTBF? Pas de certitude, mais des indices pêchés ici et là dans la presse. The Observer a ainsi mentionné le nom de deux Britanniques se présentant comme des mercenaires. Une Israélo-Canadienne a été identifiée comme la première femme étrangère à rejoindre la lutte des Kurdes contre l’État islamique. Une adolescente de 17 ans aurait voyagé en Eurostar et aurait été vue la dernière fois en Belgique en route vers la Syrie. Mais aucun jeune Belge n’a été identifié en 2014 parmi les combattants du camp pro-kurde bien que des informations aient fait mention dès le printemps dernier d’entraînements de type militaire sur le sol belge.

C’est un rapport d’Europol relayé par De Tijd qui, le premier, a évoqué l’existence de camps d’entraînement kurdes en Belgique. Selon les services policiers européens, le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan considéré par l’UE comme un groupe terroriste) aurait pour relais une ASBL belge sise dans une commune proche de Charleroi, laquelle aurait coordonné des formations à l’échelon européen avant d’envoyer des combattants dans le nord de l’Irak. Toujours selon Europol, le PKK parvient à lever des fonds considérables en Belgique pour financer ses opérations de guérilla.

Un processus de paix fragile

Les Kurdes ont toujours bénéficié d’un certain soutien en Belgique. À côté ou face à une communauté turque réputée très nationaliste, parfois restée sous la coupe d’Ankara, leur rhétorique de minorité opprimée a conquis le cœur et le respect des milieux de gauche et d’extrême gauche. Ils sont bien sûrs sensibles au moindre écho venu d’Anatolie. Bon ou mauvais.

Ainsi, à la mi-novembre, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et le chef de la région autonome kurde d’Irak, Massoud Barzani, se sont retrouvés à Diyarbakir (est de la Turquie) pour célébrer quelque 400 mariages et –plus politiquement– l’union de leurs deux peuples, turc et kurde. En réalité, ce rapprochement en grandes pompes avait pour objectif de relancer le processus de paix tout en marginalisant le PKK, bien qu’il ait déposé les armes en 2012. Le PKK qui, désespérant de voir Ankara se croiser les bras devant le sort réservé par l’État islamique à la ville de Kobané, menaçait de revenir d’Irak pour rentrer en territoire turc. Avec pour conséquence de déstabiliser à nouveau l’est du pays. Le processus de paix établi deux ans plus tôt a révélé là toute sa fragilité.

Mesurer l’adhésion que rencontre le PKK auprès des Kurdes de Belgique n’est pas aisé. Mais celle-ci, combinée à la présence d’éventuelles bases arrière, est suffisamment importante pour qu’Ankara et Bruxelles aient signé en 2013 deux accords. Objectif pour les Turcs: obtenir l’extradition des dirigeants des mouvements kurdes et d’extrême gauche réfugiés en Belgique et accusés de terrorisme; accélérer les contacts entre policiers belges et turcs en matière de terrorisme, de crime organisé, de trafic d’êtres humains et de drogues; lutter contre le blanchiment d’argent. «Ankara, écrivait La Libre Belgique, reproche depuis des années à la Belgique d’héberger des autonomistes kurdes et des membres de l’extrême gauche comme le DHKPC. Ceux-ci se tiennent généralement cois en Belgique mais leurs groupes font la guérilla en Turquie.» Problème: plusieurs dirigeants de la diaspora kurde vivant en Belgique bénéficient depuis des années du statut de réfugié politique ou travaillent comme lobbyistes dans les travées du Parlement européen.

En échange de cet accord, la Belgique a demandé à la Turquie de respecter les droits de l’homme tout en promettant d’»étudier» au cas par cas les dossiers de la quarantaine de journalistes kurdes accusés par Ankara d’être des militants et des braqueurs de banques. C’est dans ce contexte que déboule aujourd’hui la question de la participation de Belges (d’origine kurde ou non) à la lutte contre Daesh. Elle traduit à son tour le combat d’un peuple qui rassemble entre 20 et 40 millions de personnes vivant en Turquie, Irak, Iran et Syrie. Et rêve d’un Kurdistan indépendant.