Les libéraux, anticléricaux et laïques polonais retrouvent la parole dans un pays en mutation.
«Les Polonais? Supercathos et antisémites!» ou «La Pologne, je n’y mettrai jamais les pieds; ma famille y a été déportée et n’est jamais revenue des camps d’extermination polonais», cette dernière sentence étant souvent prononcée par des personnes n’ayant par ailleurs aucun problème à se rendre en Allemagne. La troisième caricature est celle du plombier ou de l’électricien, débarquant en Belgique, en général de l’est de la Pologne. Pas glorieux comme portrait… Et assez loin de la réalité actuelle.
Sous les jougs successifs des Russes, des nazis puis des Soviétiques, les Polonais ne pouvaient sereinement analyser leur passé. Ils ont entamé ce processus voici quelques années seulement et le résultat est spectaculaire avec l’ouverture de musées et lieux de mémoire modernes didactiques et bien documentés.
Un recul nécessaire
Le Musée de l’insurrection de Varsovie et surtout le tout récent Musée de l’histoire des Juifs de Pologne symbolisent ce regard décomplexé que posent les Polonais sur leur passé. À Bialystok, dans cet Est en pleine renaissance, les circuits de découverte de la localité proposent des balades rappelant le passé multiculturel et multicultuel d’une cité où les Juifs représentaient plus de 50% de la population au XXe siècle, qui fut berceau de l’esperanto, langue universelle conçue par Ludwig Zamenhof. Au cœur de la cité, l’un des principaux bâtiments de la fin du XVIIIe siècle fut construit pour accueillir une loge maçonnique. Une récente exposition à Varsovie a d’ailleurs montré le rôle joué par les maçons polonais au XVIIIe siècle lors de la rédaction d’une des constitutions les plus modernes qui fut pour l’époque, au point de mettre en fureur la Russie, l’Autriche et l’Allemagne qui ne purent supporter un tel texte, bien trop libéral au goût de ces puissances qui s’accordèrent sur un premier partage de la Pologne.
De l’époque tsariste datent les premiers pogroms dans le pays, la police russe s’arrangeant pour semer la zizanie entre Polonais et Juifs. De cette époque date le nationalisme polonais dont l’antisémitisme se développa encore une fois l’indépendance acquise le 11 novembre 1918.
Les Juifs jouèrent un rôle non négligeable lors de la Grande Guerre et bénéficièrent par conséquent du soutien du héros de l’indépendance, le général Jozef Klemens Pilsudski, au point que les détracteurs nationalistes de celui-ci, à sa mort en 1935, le traitèrent de Juif parce qu’à l’assimilation ethnique qu’ils prônaient, le vieux général souhaitait l’»assimilation étatique», les citoyens étant jugés sur leur loyauté envers l’État polonais et non plus sur leur origine ethnique.
Des mythes et des faits
Durant la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux patriotes polonais tentèrent d’aider les Juifs des ghettos en leur apportant victuailles ou armes. Andrzej Paplinski, guide et traducteur-interprète à Varsovie, rappelle qu’après-guerre, les Soviétiques avaient confisqué la parole polonaise. «Et des documentaires, comme Shoah ou Holocaust, ont présenté les Polonais comme les suppôts des nazis à Auschwitz et dans les autres camps. Or, quand les Allemands arrivaient dans un village, ils réquisitionnaient auprès des administrations locales des hommes pour construire des baraquements et autres éléments neutres du futur camp; les éléments sensibles –miradors, barbelés…– étaient bâtis par les nazis. Aux yeux d’Hitler et de ses sbires, le Polonais ne valait pas beaucoup mieux que le Juif. Avant-guerre, c’est en Pologne que vivaient le plus grand nombre de Juifs; en toute logique, on y a aussi dénombré le plus grand nombre de Justes parmi les Nations mais aussi, malheureusement, un grand nombre de collaborateurs des nazis, certains par convictions, d’autres pour sauver leur peau. Même au sein des ghettos, les Juifs ont connu cela; à Łodz, le président du Judenrat a préféré organiser des convois pour, disait-il, tenter de sauver les mieux portants. Son confrère de Varsovie, après avoir reçu le même ordre des Allemands, se mit une balle dans la tête. Plus tard, son successeur organisa le soulèvement du ghetto à la mi-1943. Trois attitudes différentes pour un résultat effroyablement identique…»
Après-guerre, le gouvernement communiste confisqua la parole des Polonais sur ordre de Moscou. On eut encore des mouvements violemment antisémites en 1968 mais, d’une manière générale, comme l’explique Jonathan De Lathouwer, président de l’Union des étudiants juifs de Belgique, «depuis la chute du Rideau de fer, en 1989, l’antisémitisme, dans les pays de l’Est, est clairement identifié comme étant une attitude de l’extrême droite».
Petits pas vers la sécularisation
Polonais supercatho? Andrej Paplinski explique encore que le catholicisme a été un moyen de résistance contre les pouvoirs tsariste puis communiste. «Y compris dans ce symbole qu’est le Palais de la culture, offert à la Pologne par le grand frère soviétique au sortir de la guerre. Derrière l’architecture typique de l’ère communiste se cachent nombres d’éléments de la culture polonaise, y compris religieuse, placés là par les architectes et décorateurs, au nez et à la barbe des superviseurs soviétiques.»
Si l’arrivée d’un pape polonais en 1978 a rendu l’Église locale très voire trop puissante, on observe depuis le décès de Jean-Paul II, et plus particulièrement depuis 2010, l’émergence d’un courant anticlérical apparu au grand jour quelques mois après le crash ayant emporté 96 personnes à Sverdlovsk dont le président Lech Kaczynski, alors qu’une grande croix avait été plantée devant le palais présidentiel. Libéraux arrivés au pouvoir, catholiques modérés, laïques et anticléricaux se révoltèrent contre ce symbole. Depuis, on a eu droit aux 10% des voix récoltées aux législatives de 2011par le mouvement lancé par Janusz Palikot, réclamant la séparation de l’Église et de l’État, soutenant la cause des femmes et celle des homosexuels et étant partisan de la légalisation de l’avortement et de la marijuana. En 2014, une étude menée par un institut de statistique de l’Église polonaise indiquait qu’en dix ans, la communauté catholique polonaise a perdu deux millions de fidèles. La Pologne demeure cependant le pays le plus catholique au monde, avec 92,2% se déclarant l’être encore. Un autre indice de cette diminution –relative– de l’influence de l’Église fut la défaite du conservateur Jaroslaw Kaczynski aux élections européennes de 2014, échec qui l’a conduit à se retirer de la course aux présidentielles de 2015 comme candidat du parti Droit et justice (PiS) face au président sortant Bronislaw Komorowski.