Le 9 décembre dernier, InfoCatho.be publiait l’information suivante: «Halte aux infanticides […] Selon le “British Journal of Obstetrics and Gynaecology”, le taux d’enfants survivant à un avortement atteint 10% à 23 semaines de gestation. Et des témoignages de sages-femmes attestent que ces enfants sont abandonnés et livrés à la mort, faute de soins.» Ah bon?
En réalité, InfoCatho, qu’on a connu mieux inspiré, n’a fait que reprendre, sans le recouper, un délire véhiculé par le groupuscule fondamentaliste CitizenGo, bien connu pour ses prises de position réactionnaires dans ce qu’il est convenu d’appeler les «questions éthiques». Imprudente initiative!
Apocalypse now
Car, en effet, que dit exactement l’étude en question (1)? À lire InfoCatho, on imagine des scènes épouvantables d’avortement à 23 semaines de grossesse, avec signes de vie des fœtus avortés dont le personnel médical se désintéresserait au point de les laisser agoniser, en regardant ailleurs, pendant que la parturiente se rhabillerait et s’en irait comme si de rien n’était. Or, ce que rapporte l’étude du British Journal of Obstetrics and Gynaecology (BJOG) datée de 2007 n’a rien à voir avec cette description apocalyptique. L’étude porte sur 3 189 cas d’avortements pratiqués sur 10 ans dans vingt hôpitaux britanniques, dans des cas bien précis de malformation du fœtus. Il s’agit donc d’avortements pour raisons médicales graves entraînant la non-viabilité à terme du fœtus.
Alors qu’InfoCatho annonce que 9,7% de ces «bébés» seraient viables, le BJOG précise que l’espérance de «vie» de ces fœtus est, en moyenne et avec les meilleurs soins possibles, de 80 minutes. Or, que dit InfoCatho? «Ces enfants (sic), qui peuvent être blessés par l’avortement, sont le plus souvent abandonnés à la mort sans soins, agonisant en luttant pour respirer, ou tués par injection létale ou asphyxie, en particulier lorsqu’ils sont viables, voire jetés avec les déchets biologiques. C’est un traitement inhumain et illégal, passé sous silence.» Au-delà de cette manipulation grossière de l’information médicale transmise par les médecins, le site d’information catholique persévère dans un délire fantasmatique où l’imagination sans limite des auteurs dénote une inspiration particulièrement morbide.
Nous posons la question de savoir pourquoi InfoCatho a tout à coup décidé de publier un tel brûlot sans fondement? La réponse tient, non à un quelconque but d’alerte humaniste, mais dans le calendrier: faute de nouvelles données de nature à émouvoir l’opinion, il fallait trouver quelque chose le 19 novembre dernier, veille de journée mondiale de l’enfance, pour revenir sur le devant de la scène. Ainsi, le Centre européen pour le droit et la justice, soutenu par le Bureau international catholique de l’enfance, l’Union mondiale des organisations féminines catholiques et la Fédération des associations catholiques en Europe a, conformément à la procédure de pétition, saisi l’Assemblée parlementaire pour clamer haut et fort le droit de vie à tout prix. En ce compris, si on lit bien, les 80 minutes de vie potentielle et assistée d’un fœtus malformé.
Déontologie
InfoCatho n’a apparemment pas retenu les leçons de Cathobel, pris les doigts dans le pot de confiture par le Conseil de déontologie journalistique en début d’année 2014. Le 31 janvier, en plein débat sur l’euthanasie des mineurs, le site cathobel.be avait publié un article titré «Le Conseil de l’Europe tance la Belgique au sujet de l’euthanasie des enfants!» Le chapeau de l’article précisait: «Ce jeudi, le Conseil de l’Europe a publié une forte critique envers le projet belge d’euthanasie des enfants.» En réalité, la déclaration émanait non pas du Conseil de l’Europe mais de 58 des 318 membres et 318 suppléants. Le site d’info catholique avait dû faire piteusement machine arrière. L’affaire des «infanticides» pourrait connaître le même sort si quelqu’un s’amusait à saisir le Conseil.
En réalité, cette désinformation est orchestrée au niveau international, puisqu’elle est liée à un «appel urgent» lancé par le European Centre for Law and Justice, lobby chrétien catalogué «prolife», fidèlement relayé par une pléthore d’autres sites d’organisations chrétiennes anti-avortement et anti-euthanasie (2). Les titres rivalisent de vigueur: «10% des bébés avortés à la 23e semaine sont jetés vivants au milieu des déchets biologiques», annonce sans rire le site suisse Les observateurs. «Forçons l’Europe à interdire les infanticides néonataux», martèle sans honte contre-info.com. Bref, une vraie campagne de propagande dont le référencement sur Google est un modèle du genre.
Mais que veulent exactement ces associations, journaux, sites en ligne et militants qui se réclament du «droit à la vie»? L’objectif est clair: tenter de démontrer qu’un fœtus, même malformé et non viable, est un enfant et, par ce biais, remettre en cause le droit à l’avortement dans les pays où celui-ci est légal. Les manœuvres que l’on constate en Belgique, qui visent à donner un statut au fœtus avec déclaration à l’état-civil, avec nom et prénom poursuivent, pour nombre d’entre elles, le même objectif: démontrer que le fœtus est une personne et que dès lors, un avortement est un infanticide.
On se souviendra qu’il y a quelques mois, One of Us, initiative citoyenne européenne pour protéger l’embryon, demandait que «l’Union Européenne cesse tout financement à des programmes menaçant l’être humain dès sa conception, cesse également tout financement d’avortements dans le contexte de l’aide au développement ou qui impliquent la destruction d’embryon humain». Cette pétition avait recueilli près de deux millions de signatures dans sept pays européens, dont les très catholiques Espagne, Italie, Pologne et Hongrie, auxquels il faut ajouter la France (dite «fille aînée de l’Église»), la dévote Allemagne et le Royaume-Uni qui possède encore une religion d’État. Les collectes s’effectuaient à la sortie des églises, précédées d’un prêche incitateur. De la belle ouvrage… qui n’aura pas suffi à emporter l’adhésion du Parlement européen. Les progressistes ont bien du mérite de parvenir à juguler cette vague réactionnaire avec la petitesse des moyens dont ils disposent et compte tenu des forces en présence. D’autant que les adversaires de l’avortement, de l’euthanasie, de la recherche médicale sur les cellules souches et des progrès éthiques en général sont prêts à tout, même au mensonge éhonté et à la violence, pour tenter de faire triompher leurs idées rétrogrades. Décidément, seule la laïcité peut servir de garde-fou face à l’hystérie collective qu’entraîne le fanatisme religieux.
(1) M.P. Wyldes and A.M. Tonks, Termination of pregnancy for fetal anomaly: a population-based study 1995 to 2004, in BJOG: An International Journal of Obstetrics & Gynaecology, volume 114, issue 5, pages 639–642, May 2007. Disponible en ligne sur http://onlinelibrary.wiley.com.
(2) Christianstoday.com, lifenews.com, prolifeinfo.ie, citizengo.org, lesalonbeige.blogs.com, zukunft.ch, contre-info.com, etc.