Espace de libertés – Février 2015

Une « École en colère » pour défendre le travail social


École

Un entretien avec Hugues Delforge

La contestation sociale fin 2014 a pris une forme particulière à la Haute École Paul-Henri Spaak: celle de l’émergence d’un collectif d’action politique baptisé « École en colère ». « Espace de Libertés » a rencontré Hugues Delforge, sociologue et maître-assistant à l’Institut d’enseignement supérieur social de l’information et de la documentation (IESSID – département social de la haute école) et porte-parole du collectif.


Espace de Libertés: Le collectif École en colère a été créé en novembre 2014, dans quelles circonstances?

Hugues Delforge: L’idée a émergé dans le contexte difficile de l’enseignement supérieur: enveloppe budgétaire fermée, réformes successives, pression à la productivité, croissance du nombre d’étudiants. Du fait que l’IESSID forme des assistants sociaux, les enseignants sont proches des secteurs sociaux et culturels. Nos étudiants sont aussi les témoins, via leurs stages, de l’évolution du travail social et reviennent avec les difficultés qu’ils rencontrent sur le terrain. Il nous est de plus en plus difficile d’enseigner dans un contexte où les futurs assistants sociaux risquent de ne plus pouvoir travailler avec l’identité professionnelle humaniste qu’on tente de leur transmettre. Les contraintes du travail deviennent telles que leur rôle consiste de plus en plus à faire du tri, du contrôle, voire de l’exclusion. C’est une conséquence directe des politiques d’activation. Notre « colère » est née en réaction aux mesures socio-économiques des gouvernements passés et présents qui touchent durement les services publics, en ce compris l’enseignement supérieur, et le travail social. Comme beaucoup d’acteurs de première ligne, nous considérons que le travail social, qui est animé par les valeurs de solidarité et de justice, risque d’être largement affecté. Lors de la manifestation nationale du 6 novembre, il y a eu peu de mobilisation visible à l’école et certains d’entre nous ne se retrouvaient pas entièrement dans les mots d’ordre et les modes d’action « officiels ». Nous nous sommes alors réunis avec la volonté de réfléchir à une façon de nous approprier les appels à la mobilisation des 8 et 15 décembre: que la grève ne soit pas réduite à un jour de suspension des cours. Le principe d’ « École en colère » était né, celui d’une école en grève, mais ouverte aux réflexions et aux actions.

Quels types d’actions avez-vous menés depuis?

Un collectif d’enseignants, d’étudiants et de professionnels du secteur social a été constitué pour préparer les deux journées de grève. Lors de celles-ci, des assemblées plénières ont eu lieu dans l’école (sur le modèle des assemblées libres) où nous avons discuté du mouvement social émergent, du sens de la contestation et du désir d’action. Nous avons également lancé un projet d’écriture collective autour d’un « J’accuse », destiné à analyser les raisons de la colère et les revendications à porter. Nous avons aussi rejoint l’action de Tout autre chose et Hart boven hard au Ministère fédéral des affaires culturelles et scientifiques (Belspo), appelé à disparaître. L’ensemble de ces actions a été mené avec la participation de personnes d’autres institutions (1).

Avez-vous observé une sensibilisation des futurs assistants sociaux?

Nous formons les assistants sociaux dans une perspective humaniste, en les concevant comme des acteurs de changement social. Logiquement, les étudiants sont acteurs à part entière d’ « École en colère ». Cela dit, nous constatons la difficulté de mobiliser les étudiants en grand nombre. Mais ceux qui sont présents sont très impliqués. La mobilisation des étudiants par leurs pairs est un premier objectif du collectif pour le futur. Par ailleurs, des enseignants ont décidé de travailler sur la thématique de l’engagement dans leur
cours, tout en respectant le principe de neutralité qui a été longuement discuté.

Comment comptez-vous poursuivre le mouvement sur le moyen, voire le long terme?

L’idée n’est pas de s’arrêter aux actions liées aux grèves. Celles-ci ont permis à beaucoup d’entre nous de s’exprimer. Des personnes, qui se sentaient par avant très isolées dans leurs questionnements, se sont senties soutenues par le collectif. On ne va pas en rester là. De gros chantiers nous attendent: l’accompagnement des chômeurs et des allocataires sociaux qui s’annonce de plus en plus difficile, la promotion des réseaux professionnels dans le secteur social, en ce compris avec les secteurs de la santé mentale et de la culture, et puis, bien sûr, la défense d’un enseignement de qualité, gage d’avenir. Comme l’éducation, le travail social est un secteur de première importance dans une démocratie, mais il est aujourd’hui profondément mis en danger, voire empêché, dans un contexte d’austérité. Le collectif continue à se réunir régulièrement et nous préparons notre participation à la parade nationale du 26 mars prochain avec Tout autre chose et Hart boven hard.

 


(1) Entre autres, la Haute École de Bruxelles, l’École ouvrière supérieure, l’Institut Cardijn, La Cambre, l’ULB, Le Méridien.