Espace de libertés – Octobre 2015

Arts
Austérité oblige, les budgets culturels se rétrécissent sans cesse. Et les artistes, avec leur statut précaire de bûcheron/pêcheur en mer, font face à des procédures kafkaïennes qui semblent ne rien comprendre au monde de la création. Le documentaire de Marc-Olivier Picron porte la voix des artistes en quête d’un statut qui tienne compte de la réalité des métiers qui sont les leurs.

Quel est le point commun entre un bûcheron, un pêcheur en mer et un artiste? Il pourrait s’agir d’une blague, mais il n’en est rien. En tant que travailleurs intermittents alternant périodes d’emploi et périodes de chômage, tous les trois sont logés à la même enseigne par l’ONEM. À défaut d’un statut qui leur est propre, les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont en quête de reconnaissance. Et sont fatigués d’entendre qu’ils feraient mieux de chercher un emploi.

Chasse aux artistes

Peut-on vivre de son art? Existe-t-il un statut pour la profession d’artiste? Quelle place une société veut-elle donner à ses artistes? C’est sur ces questions fondamentales que commence le documentaire Culture en péril. Sous-titré (Ceci n’est pas un statut), il dénonce la précarité du travail d’artiste en Belgique en retraçant l’évolution d’un statut précaire bricolé à partir de «la règle du bûcheron». Nous voilà directement plongés dans une saga aux multiples rebondissements et dans laquelle les personnages politiques changent au rythme des législatures: de 2002 à aujourd’hui, trois ministres de la Culture et autant de ministres de l’Emploi, ont tenté – ou pas – de clarifier la situation. De l’application de l’article 100 bis du Code des impôts, à la récente chasse aux chômeurs qui n’épargnent pas les artistes entre deux contrats, en passant par la limitation de l’accès au statut aux interprètes et aux comédiens en 2012 et l’exclusion des nouveaux candidats techniciens du spectacle en 2014, ils en ont entendu des vertes et des pas mûres, les artistes.

Flou artistique

Dans le documentaire de Marc-Olivier Picron, les témoignages –des comédien-nes, surtout, mais aussi des auteurs, des metteurs en scène, des directeurs de théâtre, un scénariste-réalisateur, un musicien-saxophoniste, une chanteuse-interprète, une costumière, etc.– abondent et se succèdent, portant tous dans la voix la passion qu’ils vouent à leur métier et l’absurdité de leur situation administrative. Le propos est également étayé par l’intervention du porte-parole de SMart, du vice-président de l’Union des artistes, du directeur de l’Observatoire des politiques culturelles, du président de l’Association des techniciens du spectacle. Et de la porte-parole de l’ONEM qui a elle-même bien du mal à expliquer comment on distingue un artiste d’un technicien du spectacle.

Une voix off qui questionne, des témoins qui racontent; si la forme de ce documentaire est un peu répétitive, il s’anime grâce à des extraits du puissant seul en scène de David Murgia L’âme des cafards –dans lequel l’artiste incarne justement ce cafard que l’on écrase du coin du talon –et du court-métrage d’anticipation Bloody Days– qui fait planer l’ombre de la privatisation du secteur culturelainsi que grâce aux images de coups de gueule de comédiens à la cérémonie des Magritte et de manifestations publiques au Festival d’Avignon.

Projeté en avant-première au Théâtre national en février dernier, ce film se veut le porte-parole des artistes connus et méconnus. Couplé à «Cent papiers», une expo de la très dynamique photographe montoise de Barbara Dulière et à une séance d’information en collaboration avec le Guichet des Arts, il a séduit SMart qui s’en est servi pour attirer l’attention du public dans plusieurs lieux hennuyers au l’été dernier. Car c’est bien ici le réside le plus grand mérite de Culture en péril: celui d’interpeller les spectateurs, les politiques, et de relancer le débat sur le statut d’artiste. Statut que l’actuelle ministre de la Culture Joëlle Milquet s’est tout récemment engagée à améliorer via un cadastre de l’emploi artistique et le redéploiement des aides à l’emploi spécifiques en collaboration avec les Régions « pour sortir les artistes de l’anxiété et de l’insécurité dans lesquelles la législation actuelle les plonge ».