Le gouvernement a prévu dans sa déclaration de politique générale d’humaniser le deuil des personnes qui vivent l’interruption d’une grossesse en cours de route. Une préoccupation aussi noble que nécessaire. Mais comment, dans les enceintes politiques, en partant de la volonté de mieux prendre en compte cette réalité médicale, en est-on arrivé à débattre du statut juridique du fœtus?
Il s’agit là d’un quiproquo qui, selon le CAL, ne doit rien au hasard, même si de nombreux parlementaires n’y ont pas vu malice. Début juin, le président du CAL jetait en effet le pavé dans la mare: pas question de voter un statut au fœtus, vite fait mal fait, avant les vacances parlementaires. La commission Justice de la Chambre se penchait sur les grossesses prématurément interrompues et sur la mesure proposée: l’enregistrement à l’état civil d’un acte de naissance mentionnant nom de famille et prénoms des fœtus avant la limite actuelle des 6 mois de grossesse (1).
Étonné que cette question ne soit envisagée que sous un angle spécifiquement juridique, le CAL a demandé à être entendu, ce qui fut fait le 30 juin dernier (2). Heureusement, médecins, sages-femmes, psychologues, gynécologues, pédiatres et professionnels des services de néonatalogie ont également pu être entendus à la tribune, démontrant que la question n’était pas tant de délivrer un acte d’état civil que d’aider les femmes et les proches à surmonter ce genre d’épreuve par une prise en charge psycho-affective adéquate.
Les personnes confrontées à de telles épreuves sont en demande d’une aide personnalisée, en fonction de leur mode de vie, de leur rapport à la mort.
Volonté politique
Cela n’empêche pas de s’interroger sur ce qui a motivé les quatre propositions de loi sur la table (3), comme sur le fait que, du côté francophone, seul le cdH a déposé la sienne, par ailleurs la moins problématique de toutes. Manifestement, c’est à l’initiative d’une association du nord du pays, Met lege handen (4), que les politiques flamands ont pris le parti de modifier la législation en vigueur (5). De nombreux membres de cabinets ministériels nous ont relaté les appels téléphoniques, les pleurs des personnes qui s’adressent à eux afin d’obtenir un changement dans la législation et de permettre d’enregistrer à l’état civil les fausses-couches avant 6 mois de grossesse. L’objectif de cette association est donc manifestement politique.
En revanche, sur le terrain, la demande des professionnels de la santé s’avère bien différente. Ils réclament une harmonisation des pratiques afin que tout un chacun puisse bénéficier, quel que soit son lieu de résidence, d’un accompagnement approprié, par des personnes formées et compétentes. Les grands hôpitaux universitaires offrent de tels services, qui exigent temps et disponibilité, mais ce travail n’est pas valorisé et n’est pas pris en compte par l’INAMI. Dans les petites structures, les personnes confrontées à une grossesse non menée à terme sont souvent livrées à elles-mêmes, faute de personnel qualifié.
Un non-sens médical
Du point de vue médical, les médecins ont également expliqué aux parlementaires qu’abaisser à 20 semaines la limite pour reconnaître un enfant mort-né est un non-sens et pourrait avoir des effets très pernicieux sur la pratique médicale si le législateur s’engage dans cette voie. En fait, au contraire de ce qu’affirment les propositions de loi, 140 jours de grossesse ne sont pas reconnus par l’OMS comme un critère de viabilité hors utérus. Le Dr Bela Ganatra de l’unité de santé reproductive à l’OMS le confirme: « Les critères édictés pour l’enregistrement des fausses souches à partir de 140 jours et/ou un poids de 500 grammes ne sont pas des critères de viabilité au sens médical du terme. » Ils ont été édictés pour harmoniser l’enregistrement des fausses-couches à des fins statistiques, afin de mieux comprendre et prévenir la mortalité fœtale dans le monde.
Si, sur le plan médical, les mesures en discussion ne tiennent pas la route, comment peut-on alors améliorer la situation? L’assistance morale étant une mission de la laïcité organisée, nous avons posé la question à quelques délégués et bénévoles laïques qui accompagnent les personnes en deuil, et donc aussi les femmes et les familles confrontées à une grossesse accidentellement interrompue.
Au contraire d’une codification du deuil, d’un accompagnement standardisé ou de démarches administratives supplémentaires, les personnes confrontées à de telles épreuves sont en demande d’une aide personnalisée, en fonction de leur mode de vie, de leur rapport à la mort et selon des modalités qui leur conviennent. Répondre à ce besoin se révèle la meilleure voie pour créer un espace où un événement aussi dramatique peut se vivre, dans le respect de chacun et de sa manière de réagir. L’évolution de la société, de plus en plus compassionnelle et émotionnelle, se révèle parfois d’une brutalité criante, et ce sont aussi ces voix-là que nous avons le devoir de faire entendre.
(1) Limite actuelle pour la reconnaissance d’un enfant sans vie dont découle une inscription à l’état civil et les droits sociaux comme le congé de maternité.
(2) Voir www.lachambre.be.
(3) CD&V,cdH,Spa, Open VLD.
(4) Qui se traduit par « les mains vides » en français, NDLR.
(5) Cf. proposition de loi CD&V de Sabine de Béthune en 2002 (Document législatif n°2- 1145/1), question orale d’Elke Sleurs au ministre de la Justice (Annales 5-148) et audition du 30 juin 2015 en commission « Justice ».