Espace de libertés – Octobre 2015

Petits arrangements avec le Grand Satan


International
Travesties, McDonald’s et d’autres enseignes phares de l’Amérique honnie envahissent Téhéran. Un symptôme des sociétés islamiques, tiraillées entre ouverture occidentale et repli confessionnel.

Ainsi qu’il est murmuré et déploré à l’étage de la direction de Total: « Dans Sa proverbiale Sagesse, Allah –béni soit le Nom du Très Haut, du Tout Miséricordieux, Gloire, Louanges et Majesté à Mohammed, Son Prophète–, Allah, donc, a placé le pétrole où il le jugeait bon. » Assis sur la deuxième réserve mondiale d’or noir, les mollahs de Téhéran Lui en savent gré. Un bonheur n’arrivant jamais seul, l’accord conclu cet été par les grandes puissances occidentales –États-Unis en tête– avec l’Iran quant au développement de son programme nucléaire ouvre de sacrées, voire divines, opportunités commerciales. Les affaires sont les affaires. Les ennemis d’hier deviennent les alliés objectifs d’aujourd’hui et les clients de demain. Sous réserve de la levée des dernières réticences politiciennes américaines (course à la Maison-Blanche oblige) et de celle des sanctions économiques internationales, l’Iran pourra très prochainement augmenter sa production d’un million de barils de brut par jour. Une modeste rasade qui préfigure l’ouverture des vannes en grand et une bouffée d’oxygène pour un pays économiquement asphyxié. D’autres juteuses perspectives se profilent. Ainsi, les constructeurs automobiles tricolores se frottent déjà les jantes en songeant à un marché de 80 millions d’Iraniens et à sa classe moyenne, avide de goûter à la suspension « made in France ». Le pays dispose d’ores et déjà de deux temples dévolus aux marchands, les 5e et 7e plus grands centres commerciaux du monde, sis à Ispahan et Chiraz, alignant 3 270 boutiques.

Ce faux-culisme commercial qui s’accommode fort bien des symboles honnis de l’Occident voué à brûler dans l’enfer d’Allah prête à sourire.

Ronald McDonald voué à l’enfer d’Allah

Pizza Hat IranMais depuis la révolution islamique de 1979, il convient d’être intransigeant quant aux principes politiques, du moins de sauver les apparences. Les enseignes commerciales du Grand Satan, symboles de l’impérialisme des chiens américains mécréants, sont donc bannies. Impossible de savourer un menu Big Mac –fut-il évidement sans bacon– accompagné d’une portion de frites et d’un Coca-Cola. Avant d’accéder à la présidence de la République islamique (désolé pour l’oxymore), Mahmoud Ahmadinejad, alors maire de Téhéran, eut la riche idée de faire repeindre certains trottoirs de la cité en vert, couleur de l’islam. Aujourd’hui encore, les rues de la capitale ne risquent pas d’être souillées des papiers gras bordant les sandwichs de la firme McDonald’s. La boustifaille des croisés-infidèles est interdite de séjour en Iran. Cependant, certains aimeraient se remplir la panse de ces délices sataniques. Comment sortir de la contradiction? Par bonheur, les Iraniens ont du pétrole et des idées. Ainsi est né « Mash Donald’s », un fast-food dont le logo reprend très exactement les célèbres arches dorées de McDo, son mobilier en plastique aux couleurs vives, jusqu’au clown Ronald, cloné. Au menu, le falafel super-long sandwich (46 cm de cholestérol), rivalise avec l’adaptation du Big Mac baptisée « Mash Donald’s baguette burger ». L’heureux propriétaire du restaurant, Hassan, se félicite de ne pas souffrir de la moindre tracasserie du bataillon d’avocats de la firme cotée à Wall Street, pas plus que des pourtant très sourcilleux Gardiens de la Révolution. Un de ses téméraires prédécesseurs a bien tenté d’ouvrir une authentique franchise McDo à Téhéran en 1994. Deux jours plus tard, le restaurant était incendié par de zélés patriotes. « Mash Donald’s », lui, est à l’abri du feu purificateur. Il en va de même pour d’autres enseignes où se pressent les Iraniens gastronomes et occidentalisés: « Pizza Hat » qui singe jusqu’au mimétisme Pizza Hut, « ZFC » où se dégustent des chicken wings à faire pâlir de jalousie KFC ou la chaîne « Raees Coffee » qui ressemble comme deux gouttes de pur arabica aux Starbucks. Même la sandwicherie Subway est habillement travestie et à peine maquillée pour régaler les Iraniens. Le tout au nez et à la barbe fournie des ayatollahs, ou plutôt avec leur tacite bénédiction.

« Faut-il brûler les homos? »: le voile contre la vapeur

Ce faux-culisme commercial qui s’accommode fort bien des symboles honnis de l’Occident voué à brûler dans l’enfer d’Allah (« béni soit Son Nom, etc.« ) prête à sourire. Il est également le révélateur criant d’une profonde fracture qui traverse les sociétés islamiques et arabo-musulmanes. Il suffit de se promener tard le soir en compagnie d’autochtones dans quelque quartiers interlopes de Rabat, au Maroc, ou d’engager une conversation libre avec des étudiants de l’université tunisienne de Carthage pour s’en convaincre. De façon encore plus palpable depuis les révolutions et « printemps arabes », les pays du Maghreb sont tiraillés entre soif d’ouverture et d’occidentalisation d’une part, repli confessionnel laissant libre cours à la dictature des mœurs et à la tyrannie phallocratique d’autre part. « Faut-il brûler les homos? », s’interrogeait en « une » l’hebdomadaire Maroc-Hebdo cet été. Une question qui frôlait presque l’outrage au roi Mohammed VI, ont raillé quelque facétieux esprits marocains… Dans le royaume, la « chasse aux pédés » est ouverte. En juin dernier, un travesti a été lynché par une foule hystérique dans la bonne ville de Fès – ce qui n’aurait pas manqué d’étonner Paul Bowles, tant l’auteur d’Un thé au Sahara aimait y partager d’autres douceurs sucrées avec des garçons de la cité. Cet été encore, la diffusion du film Much Loved, plongée sans fard dans les nuits de la prostitution marocaine, a failli mettre le pays à feu et à sang. Il est pourtant un secret de Polichinelle qu’une belle poignée de dirhams assure de la compagnie de jeunes femmes ou jeunes hommes peu farouches dans le pays, accessoirement premier producteur et exportateur mondial de cannabis. La Tunisie du dictateur Ben Ali proscrivait le port du voile dans les administrations et services publics. L’actuel gouvernement laïque, qui se pose en rempart des islamistes du parti Ennahdha, a déployé des policiers dans les villes et sites touristiques lors du dernier Ramadan afin de veiller à ce que les commerces de bouche restassent fermés durant la journée. Peut-être eurent-ils été mieux employés à la protection des plages de Sousse, ensanglantées sous le soleil estival par un islamo-terroriste (39 morts le 26 juin dernier) ou aux abords du musée du Bardo (24 morts le 18 mars). Baguenaudant à Marrakech main dans la main, un couple a dû présenter un certificat de mariage au commissariat, l’article 490 du Code pénal réprimant… les relations sexuelles hors mariage. Même la police franquiste était moins tatillonne. Seuls les baisers en public étaient prohibés dans l’Espagne fasciste.