Espace de libertés – Octobre 2015

« Évitons le nivellement par le bas! »


Dossier

Un entretien avec Joëlle Milquet, ministre de l’Éducation

Alors que l’heure de toutes les réformes scolaires semble avoir sonné en FWB, il tombe sous le sens, à l’occasion de ce nouveau dossier concernant l’école, de donner la parole à la ministre de l’Enseignement obligatoire. Et ce, d’autant plus volontiers que son « pacte pour un enseignement d’excellence » semble nettement plus volontariste que les timides tentatives récentes pour faire évoluer tant le cadre que le contenu. À la place Surlet de Chokier, on prend les choses à cœur. Ça tombe bien, chez nous aussi.

Espace de Libertés: Madame la Ministre, pouvez-vous nous rappeler le sens, l’objectif de ce pacte d’excellence?

Joëlle Milquet: Le pacte pour l’enseignement d’excellence est un processus de qualité qui doit d’ailleurs dépasser cette législature et doit faire en sorte qu’à tous les niveaux de l’enseignement, les acteurs, les élèves, les instances puissent déployer un enseignement d’excellence. Il ne s’agit pas d’un enseignement élitiste, mais de permettre à chacun de se déployer au maximum de ses potentialités. Qu’il s’agisse de l’élève, de l’enseignant, qu’il s’agisse aussi de ceux qui gèrent le système. Et fondamentalement, ce que nous voulons, c’est surtout investir sur le terrain. Être en soutien des acteurs éducatifs que sont les enseignants et les directions. Améliorer la formation, la formation continuée, les outils pédagogiques, donner davantage d’autonomie pédagogique, mais alléger peut-être aussi, flexibiliser les fonctions, leur permettre de travailler avec des méthodes beaucoup plus collaboratives pour déployer des potentialités. Parce qu’un système d’enseignement qui s’améliore dépend avant tout, pour sa progression, de l’addition des améliorations personnelles qui se passent avec un professeur face aux élèves dans un établissement donné, à des heures données. C’est un changement complet de mentalités. On est sur le terrain auprès des acteurs. On voit comment les aider, les soutenir, les former. Pareil pour les directions. On laisse plus d’autonomie pédagogique, mais on est plus précis sur les objectifs, meilleurs sur les évaluations, pour essayer de donner des indications afin de mieux se déployer. Il s’agit aussi d’une adaptation des savoirs et des compétences aux nouveaux besoins du XXIe siècle qui rééquilibre davantage savoirs et compétences. On a peut-être un peu trop basculé du côté de l’apprentissage des compétences, mais les savoirs sont importants aussi. Donner beaucoup plus de place à l’autonomisation du jeune comme acteur de son apprentissage. Et réussir la transition numérique, ce qui est un grand défi. Un autre défi important est de lutter contre l’échec scolaire. Et chez nous, l’un des grands problèmes, c’est que nos élèves à indice socio-économique faible ratent beaucoup plus, en moyenne, que dans les autres pays.

Il ne s’agit pas d’un enseignement élitiste, mais de permettre à chacun de se déployer au maximum de ses potentialités.

Vous venez de nous dire qu’il y a beaucoup de défis à relever, qu’il va falloir fixer les objectifs. Quelles sont les priorités sur lesquelles vous allez travailler de façon assez rapide?

Ce sera l’investissement dans un meilleur accompagnement et une meilleure formation des acteurs de l’enseignement. Parce que ce sont eux qui vont faire évoluer, eux qui font déjà des miracles tous les jours. En étant mieux formés, mieux outillés, avec d’autres méthodes de travail, ils pourront générer de grands changements. Et donc c’est l’amélioration de la formation initiale, de la formation continuée, un meilleur accès aux pratiques pédagogiques qu’ils ignorent souvent… Avoir aussi des plateformes numériques qui permettent d’aider beaucoup plus nos enseignants. Beaucoup mieux former et accueillir nos jeunes enseignants pour qu’ils restent dans le système. Avoir aussi beaucoup plus de soutien, d’autonomie pour les directions ou même de coaching en matière de management, de coordination pédagogique, de gestion de ressources humaines. Sans oublier la remédiation, l’accompagnement personnalisé des élèves, principalement ceux à indice économique faible. Évitons le nivellement par le bas, pour leur permettre d’atteindre des objectifs bien redéfinis et enrichis d’une nouvelle vision de l’encadrement différencié. Celle-ci doit avant tout personnaliser l’approche par rapport à chaque élève avec un accent sur l’apprentissage du français qui, pour énormément d’élèves, en nombre de plus en plus important, est une deuxième langue. C’est donc une autre manière d’apprendre.

C’est un énorme travail, mais qu’on ne peut faire qu’avec les acteurs de terrain puisque c’est en s’améliorant eux-mêmes qu’ils amélioreront le système éducatif.

école pacte d'excellence

Un mot sur la question de la gratuité. Il y a plusieurs acteurs qui se sont inquiétés de cette non-gratuité du système scolaire aujourd’hui en disant qu’effectivement, il y avait des points dans la synthèse qui relevait ce problème de la gratuité. Mais est-ce que vous comptez axer les travaux sur la question de la gratuité?

Oui bien sûr que la gratuité fait partie du pacte. Maintenant, il faut voir comment on la définit. J’entends souvent des calculs qui prennent en compte le prix des repas. Mais quoi qu’il arrive, à l’école ou pas à l’école, on doit nourrir un enfant. Donc je ne pense pas que ce soit tout à fait correct de mettre ce prix-là dans l’évaluation du coût de l’école. Par contre, oui, nous devons tendre vers une vraie gratuité. Mais cela touche à toute la problématique du financement égalitaire de l’ensemble du système de l’enseignement où ce n’est pas toujours le cas. Donc des écoles qui ont moins de dotation ont parfois tendance à demander un peu plus aux parents. Cela ne va pas. Mais cela veut dire que si l’ont veut travailler sur la gratuité, ce qui est bien mon intention, on doit travailler aussi sur une meilleure équité du financement entre écoles.

Vous avez parlé d’un processus participatif…

On va lancer la phase la plus opérationnelle qui va toucher l’ensemble des enseignants en mettant en place des groupes de travail autour des quatre thématiques du pacte. L’amélioration des savoirs et des compétences, l’amélioration du parcours de l’élève, l’investissement des acteurs et l’amélioration de la gouvernance. Et tout cela va être rendu complètement transparent sur un site qui s’appelle « pacte d’excellence » (1) et sur lequel on peut poster ses contributions, répondre à des questions… On va avoir aussi des groupes de travail décentralisés. On demande des contributions aux établissements. On va vraiment appeler les savoirs et les intelligences des opérateurs de terrain, qui ont beaucoup d’idées, pour travailler dans les groupes, faire remonter les informations et parallèlement, on demande à pas mal d’instances de déjà travailler, de faire des propositions… et puis on met tout ensemble et on en sort un plan d’action. Ce ne sont pas de grandes recommandations théoriques. On va vraiment travailler des projets qu’on peut déjà réaliser à très court terme. C’est un énorme travail, mais qu’on ne peut faire qu’avec les acteurs de terrain puisque c’est en s’améliorant eux-mêmes qu’ils amélioreront le système éducatif. On a vraiment besoin d’eux. Non seulement pour donner des idées, mais parce que ce sont eux qui les appliqueront. C’est un processus qui n’a jamais été mis en œuvre. En général, on impose d’en haut. On va faire en sorte que le mouvement se fasse par projet d’établissement et établissement par établissement. Parce que c’est à partir d’eux qu’on pourra mieux répartir les tâches, avoir aussi des objectifs plus chiffrés, des stratégies mises en place de lutte de l’échec solaire, etc., en meilleure adéquation avec le niveau des établissements.

Pourquoi ce terme d’ »excellence »?

Parce que l’excellence n’est pas élitiste. Je ne supporte pas l’idée de dire que quand on est ambitieux, on est élitiste. Tout le monde doit être ambitieux, qui qu’il soit, quel que soit son milieu social, d’où il vient, quelle que soit sa langue, etc. J’ai la plus grande ambition pour les primo-arrivants qui ont droit à un enseignement d’excellence adapté. Et l’excellence pour eux, c’est tirer d’eux-mêmes tous les talents et faire en sorte que ces enfants se déploient au maximum de leurs capacités. Il faut des approches différenciées. Mais ce qu’il faut surtout, c’est pouvoir les amener vers la réussite. Chacun a droit à la même qualité. Et ça, c’est vraiment un grand principe d’égalité.

 


(1) URL du site: www.pactedexcellence.be.