La sortie du rapport annuel de l’Observatoire des religions et de la laïcité (1) qui analyse les pratiques en Belgique est toujours un événement. Et sa lecture fort instructive.
Le rapport ORELA constitue un événement d’abord parce qu’il demeure une véritable mine d’informations et de renseignements qui, bien loin des idées reçues, permet à chacun de mieux mesurer l’action et le poids des uns et des autres encore aujourd’hui en Belgique. À titre d’exemple, quelques situations particulières méritent d’être mentionnées.
Constats et tendances
Ainsi, les quelques pages réservées au mode de financement des cultes et de la laïcité démontrent à suffisance, tellement il est peu conforme à la réalité de notre société, que ce système de financement date d’un autre âge… De même, le rapport décrit bien aussi les domaines dans lesquels, à certains moments, des tensions peuvent apparaître entre cultes et laïcité: « À bien des égards, la laïcité demeure une force d’opposition au cléricalisme et ne peut donc rejoindre les représentants des cultes reconnus quand ils s’expriment sur des questions éthiques. L’enjeu est d’autant plus important que depuis plusieurs années, les institutions religieuses tentent d’imposer un discours d’expertise dans ces domaines. » (2) Les récurrentes sorties de l’autoproclamé Institut européen de bioéthique sont (malheureusement) là pour nous le rappeler trop souvent (3). Enfin, la montée en force des églises évangélistes est aussi abordée par le rapport de l’ORELA: « Les Églises protestantes évangéliques sont en forte croissance. Selon l’historien et sociologue Sébastien Fath, chercheur au CNRS, elles réunissent en 2014 près de 600 millions de fidèles à travers le monde, principalement en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie […]. Particulièrement présentes en Région bruxelloise, ces Églises sont généralement implantées dans des quartiers populaires, voire paupérisés: la carte des implantations évangéliques en région bruxelloise suit les lignes du “croissant pauvre”: à l’intérieur du Pentagone, l’ouest de la jonction Nord- Midi et les Marolles; le bas de Saint- Gilles et de Forest; l’est d’Anderlecht et de Molenbeek; Saint-Josse; l’ouest de Schaerbeek » (4). Un phénomène qui ne peut laisser indifférent.
Mais ce rapport met surtout en évidence à quel point, en 2014, l’actualité internationale nous a rattrapés et a eu des incidences tragiques dans notre pays.
L’attentat du Musée juif
« Survenu à la veille des législatives du 25 mai 2014, l’attentat contre le Musée juif a suscité l’émoi dans le pays. » (5) Plus que de l’émoi, ce meurtre commis avec un sang-froid affolant dans un lieu déterminé uniquement parce qu’il est juif a surtout permis de se rendre compte que, même en Belgique, nul n’était à l’abri de cette violence aveugle. Couplé à une recrudescence de l’antisémitisme (6), cet attentat a généré un climat de crainte et de défiance aisément compréhensible (7). Mais avec le risque aussi que, face à cette menace, l’équilibre entre la nécessaire sécurité et la préservation de nos libertés soit lui-même mis en danger… Si les déclarations du Premier ministre lors du discours aux corps constitués le 29 janvier dernier étaient à cet égard plutôt rassurantes, les récentes initiatives du ministre de l’Intérieur laissent, elles, sceptiques (8).
L’ancien Garde des Sceaux de la République française avait dénoncé le « piège politique » (9) tendu par les terroristes ici ou ailleurs et les amalgames qui pourraient en découler. Mais, sans surprise, ainsi que le constate le rapport, « l’intérêt pour l’islam se développe sur fond de craintes liées au terrorisme: le fondamentalisme religieux et la radicalisation des jeunes sont des sujets qui ont abondamment retenu l’attention des médias en 2014 » (10). Le rapport d’ORELA aborde aussi spécifiquement les nombreux départs de combattants belges en Syrie (11).
Des avancées
Enfin, se plonger dans la lecture du rapport ORELA donne quand même de l’espoir lorsque l’on constate que plusieurs dossiers, dans lesquels le mouvement laïque a souvent été impliqué, ont connu de considérables évolutions durant cette année 2014. On peut ainsi penser à la loi du 28 février 2014 modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie, en vue d’étendre l’euthanasie aux mineurs. Ou encore à l’accord de majorité entre le PS et le cdH à la Fédération Wallonie-Bruxelles au sujet des cours dits « philosophiques » (12). Accord qui prévoit de remplacer à terme une heure de religion ou de morale par un cours commun de philosophie et de citoyenneté (uniquement dans l’enseignement of ciel). Une solution « chèvrechoutiste » sans doute mais, en attendant, force est de constater que ce dossier a quand même bougé. Qui l’aurait cru il y a seulement 5 ans? De quoi puiser de l’énergie pour le futur car, restons en conscients, chaque petite victoire engrangée est toujours annonciatrice des défis de demain.
(1) Voir « Rapport ORELA 2014 », mis en ligne le 18 juin 2015, sur www.o-re-la.org.
(2) Caroline Sägesser, Jean-Philippe Schreiber et Cécile Vanderpelen-Diagre, Les religions et la laïcité en Belgique. Rapport 2014, Bruxelles, Observatoire des religions et de la laïcité (ULB), 2014, p. 42.
(3) Lire à cet égard la carte blanche d’Henri Bartholomeeusen parue dans Le Soir du 2 septembre 2015, « Des assassins à l’hôpital? » et mise en ligne sur www. laicite.be.
(4) Sägesser, Schreiber et Vanderpelen-Diagre, op. cit., pp.24 et s.
(5) Ibid., p. 32.
(6) Ibid., pp. 33 et s.
(7) « Si je pars, c’est contraint et forcé », interview de Jonathan De Lathouwer, président de l’UEJB, dans La Libre Belgique, 22 mai 2015.
(8) Le ministre de l’Intérieur a indiqué qu’il souhaitait créer un fichier national des données des voyageurs pour certains transports en commun.
(9) Laure Bretton, « Robert Badinter: “Les terroristes nous tendent un piège politique” », mis en ligne le 7 janvier 2015, sur www.liberation.fr.
(10) Sägesser, Schreiber et Vanderpelen-Diagre, op. cit., p. 13.
(11) Ibid., pp. 14 et s.
(12) Ibid., pp. 69 et s.