Espace de libertés – Octobre 2015

École, espace de radicalisation?


Dossier
La question de la radicalisation des jeunes n’est pas nouvelle. Le phénomène a toutefois pris de l’ampleur dans notre pays ces deux dernières années avec le départ de plusieurs jeunes belges vers la Syrie et l’Irak. Aborder les questions qu’il suscite se révèle particulièrement complexe au regard des différentes causes pouvant être avancées et des nombreuses réalités sociales auxquelles il nous confronte.

Nous tenterons dans cet article de réfléchir à la manière dont l’école essaie de lutter contre le radicalisme et d’élargir cette réflexion aux réalités sociales auxquelles nous sommes confrontés. Gardons déjà à l’esprit que résumer un tel phénomène en quelques idées est toutefois une utopie et qu’une réflexion plus approfondie se doit d’être menée à tous les niveaux de pouvoir afin de proposer des réponses et des actions permettant de prévenir efficacement ce processus.

Dans cette optique, le 16 janvier dernier, la ministre de l’Enseignement a rendu public son plan de prévention contre le radicalisme à l’école (1). Celui-ci s’articule sur les axes suivants: former et accompagner les acteurs éducatifs, désigner un fonctionnaire référent pour soutenir les écoles; offrir des outils pédagogiques et des services pour les acteurs éducatifs; renforcer la résistance morale des élèves; former les élèves contre les dérives d’internet; lancer des initiatives nouvelles dans les écoles via la culture; réaliser un appel à projets dans les écoles et des initiatives diverses; mettre en place des projets pour l’entourage, les parents et la famille à partir de l’école et des services d’éducation permanente et des centres PMS; organiser des cours de citoyenneté à l’école; et enfin, sensibiliser à la lutte contre le racisme. Ces mesures, prises dans l’urgence –et cela alors même que le phénomène se développe depuis plusieurs années–, ne pourront pas suffire à elles seules. Elles semblent en effet faire fi des éléments suivants.

L’égalité et l’inclusion, les grandes oubliées du plan

Le décret « Missions » –qui, comme son nom l’indique, définit les missions de l’école– prévoit que celle-ci doit entre autres amener chaque jeune à devenir un citoyen responsable, lui assurer des chances égales d’émancipation sociale et promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne, tout cela en prenant en compte les origines sociales et culturelles des élèves. Qu’en est-il réellement? Le constat a été posé par bon nombre d’acteurs: l’école ne donne pas les mêmes chances de réussite à chaque élève. Pire, elle contribue à reproduire et renforcer les inégalités, que ce soit directement ou par l’intermédiaire des familles. Il faut donc reconnaître que l’école serait aujourd’hui un lieu de discriminations pour certains élèves. Comment dès lors envisager que l’école elle-même ait la charge de mettre en place les dispositifs cités plus haut si elle ne lutte pas contre ses propres dysfonctionnements? La question mérite d’être posée.

Comment des jeunes, nés ici, ayant grandi ici, ayant été scolarisés ici, peuvent-ils envisager de quitter le relatif confort de vie dans lequel ils évoluent pour participer à ce conflit armé?

Aujourd’hui, il faut nous interroger sur notre responsabilité collective en tant que société dans le processus de radicalisation de certains jeunes. Une nouvelle fois, l’accent a été mis, dans les médias, dans les discours politiques, sur ces quelques jeunes qui ont quitté leur pays pour se rendre dans des territoires en guerre, à l’incompréhension générale. Il s’agit bien de quelques jeunes. Car la majorité de nos jeunes sont (pour l’instant!) ici, en Belgique. Certains s’opposent fermement à tout départ ou à l’idée même d’y songer. D’autres pourtant s’interrogent voire cautionnent ces départs. Il y a là pour nous, acteurs scolaires, sociaux et politiques, matière à nous remettre en question. Comment des jeunes, nés ici, ayant grandi ici, ayant été scolarisés ici, peuvent-ils envisager de quitter le relatif confort de vie dans lequel ils évoluent pour participer à ce conflit armé? Il serait réducteur, voire erroné, de n’aborder cette question que sous l’angle du religieux. Et cela même si ce facteur peut avoir une influence dans le processus dans lequel rentrent certains jeunes. Il nous semble dès lors important que l’école accepte la libre expression de chaque croyance ou philosophie, et cela, dans le respect d’un cadre commun. La grande majorité des jeunes que nous côtoyons ont le sentiment d’être mis à l’écart. Ils disent avoir le sentiment (fondé ou non fondé) de ne pas pouvoir exprimer librement leur culture, leur religion sans être jugés. L’école se doit donc de veiller à insister sur les valeurs qui rassemblent les élèves plutôt que de cristalliser les tensions. Les questions de la nourriture halal ou du foulard à l’école nous semblent en représenter un parfait exemple.

Une citoyenneté à apprendre et à vivre

Autre élément relevé dans nos constats de terrain et indispensable dans la compréhension du phénomène: les jeunes eux-mêmes soulignent leur sentiment d’inutilité, leur manque de confiance et de perspective en l’avenir et le fait qu’ils ne se retrouvent pas dans cette société. Ces jeunes estiment, à juste titre, être des citoyens à part entière, mais ont du mal à exercer concrètement cette citoyenneté. Faute de trouver dans la société une manière de s’exprimer et de se retrouver, ces jeunes se retournent vers d’autres lieux d’appartenance dans lesquels ils trouvent une reconnaissance positive et juste selon eux. C’est une manière d’être valorisés qu’ils ne trouvent pas ailleurs. L’enjeu actuel et de taille auquel est aujourd’hui confrontée l’école n’est pas simplement d’éduquer à la citoyenneté, mais bien de faire également participer concrètement les jeunes au processus démocratique, y compris au sein de l’école. L’école doit parvenir à devenir une autorité juste pour tous les jeunes afin de conforter la légitimité de ses discours.

La prévention des causes du radicalisme ne doit pas être laissée à l’école seule. Elle n’a actuellement ni les moyens ni les capacités pour y parvenir. L’école est toutefois un des acteurs clés qui devrait œuvrer à permettre aux jeunes de développer leur esprit critique dans un espace de dialogue bienveillant. Mais il s’agit plus largement d’un réel débat de société dans lequel il est indispensable d’aborder les notions d’égalité, de non-discrimination et de citoyenneté. C’est en essayant de comprendre le point de vue des jeunes qu’il nous sera possible d’ouvrir un réel débat d’idées. Valoriser et donner du sens ne sont-ils pas les éléments essentiels qui nous permettront de prévenir le radicalisme chez les jeunes?

 


(1) « Un plan de prévention contre le radicalisme à l’école », mis en ligne le 16 janvier 2015, sur www.joellemilquet.be.